Peppermint Candy
Lee Chang-Dong
Quinzaine des Réalisateurs

très content

critique de Daniel Rocchia

 

Avant Oasis (2002) et Secret Sunshine (2007), le Coréen Lee Chang-dong avait déjà présenté à Cannes cet essai passionnant. Avec le recul, ils peuvent former un triptyque sur la névrose et un portrait au vitriol de ce pays. Les failles psychologiques de Yongho, le personnage principal, annoncent les « pétages de plomb » de Shin-ae dans Secret Sunshine. La dévotion de l'épouse est prémonitoire de celle de la pharmacienne dans le film de 2007. Comme dans Oasis, les protagonistes vont au bout de leurs pulsions ; le cinéaste reformera d'ailleurs le couple Sol Kyung-gu/Moon So-ri, deux des acteurs asiatiques les plus doués de leur génération.
L'œuvre commence par un pique-nique organisé en 1999 par d'anciens amis qui s'étaient donné rendez-vous dans vingt ans. Yongho se trouve là presque par hasard, sans avoir été véritablement invité, et s'ingénie à jouer les trouble-fête par des pitreries et en menaçant de se jeter sous un train, ce qu'il ne manquera pas de faire. Le film est ensuite constitué de six flash-back successifs qui remontent la chronologie, de 1999 à 1979, et tentent de montrer comment ce quadragénaire insolite a pu en arriver là. Le procédé du film « raconté à l'envers » sera repris en 2003 par François Ozon (5x2) mais Peppermint Candy est doté d'un arrière-plan historique (la dictature coréenne, les mutations économiques des années 90) qui, sans être appuyé, permet d'ancrer le personnage dans un contexte qui va peser, sans doute, sur ses motivations. Comment un paisible étudiant renonce à son amour de jeunesse et se transforme en policier sinistre, époux abject, avant de connaître une déchéance affective et professionnelle brutale ?

C'est ce que décrit cette radioscopie en sept parties, avec entre deux dates le plan récurrent d'un train élancé dans la campagne. 1994, 1987, 1984 et 1980 constituent les retours en arrière les plus significatifs et certaines séquences laissent une trace durable : les tortures perpétrées par la « violence légitime », l'exécution d'une innocente lycéenne sur une voie de chemin de fer, la nuit passée avec une serveuse séduite par l'évocation d'un amour passé... Pourtant, le cinéaste opte pour la sobriété et refuse toute sophistication : les images suggèrent davantage qu'elles ne montrent et il faut souligner l'usage subtil du hors-champ et de l'ellipse. Et une émotion réelle est distillée dans des cadres serrés (la séquence de l'hôpital). On peut certes se demander si la réalisation aurait été remarquée avec une chronologie « dans l'ordre ». Mais la question ne se pose pas plus que pour Lola Montès ou Pulp Fiction. Le montage intelligent et la force de la progression dramatique font oublier le choix narratif initial et ce plan d'un étudiant serein et rassurant, dans la dernière séquence, fait froid dans le dos, compte tenu de son « avenir ».
Il faut maintenant souhaiter la ressortie en salles de Peppermint Candy et Oasis. L'exploitation commerciale de Secret Sunshine (prix d'interprétation féminine) en fournirait une réelle occasion. Un coffret DVD rassemblant les trois opus serait aussi le bienvenu.

Gérard Crespo

2h09 - Corée du Sud - Scénario : Lee Chang-Dong - Images : Kim Hyung-Gu - Décor : Park Il-Hyun - Son : Lee Seung-Chul - Musique : Lee Jae-Jin - Montage : Kim Hyun - Interprètes : Sol Kyung-Gu, Moon So-Ri, Kim Yeo-Jin.

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