L'Adversaire
The Adversary
Nicole Garcia
Sélection Officielle
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On a été injuste avec cet Adversaire, taxant d'académisme une œuvre forte appuyée par un scénario puissant et une mise en scène sobre et sans effets. Nicole Garcia a adapté le roman d'Emmanuel Carrère avec la collaboration de son fils et de Jacques Fieschi, son scénariste attitré. Ce récit reprenait la trame de l'affaire Romand, fait divers célèbre des années 90 et qui avait déjà inspiré L'Emploi du temps de Laurent Cantet, en 2001.
L'histoire vraie de Jean-Claude Romand, qui trompa ses proches pendant des années, leur faisant croire qu'il menait une brillante carrière médicale en Suisse, et qui, se sentant découvert, assassina épouse, enfants et parents, avant de tenter de mettre fin à ses jours, était en soi un beau sujet de cinéma. Le film (excellent) de Laurent Cantet insistait sur la solitude et l'errance de Romand, occupant ses journées sur des aires d'autoroute et de tristes parcs publics, et introduisait un faux happy end, s'accordant quelques privautés avec le drame original. Nicole Garcia suit une autre direction. Son récit, éclaté, procède par flash-back successifs, formant un puzzle narratif éclairant la personnalité du protagoniste. Daniel Auteuil rend à merveille la complexité de ce personnage à la fois mythomane et fragile, narcissique et aimant ses proches. Les séquences de meurtres sont filmées avec un sens de l'ellipse et du hors-champ qui ne sont pas sans évoquer L'Argent de Bresson, par l'aptitude à capter l'horreur en ayant recours aux effets minimaux. Le montage n'est d'ailleurs pas la moindre qualité de L'Adversaire, aussi passionnant qu'un thriller, même si le dénouement est connu de tous et suggéré dès la séquence d'ouverture.

En fait, Nicole Garcia fait de Romand un caractère qui illustre sa galerie de losers désenchantés : c'était le cas de Nathalie Baye (Un week-end sur deux, 1990), Gérard Lanvin (Le Fils préféré, 1994), Catherine Deneuve (Place Vendôme, 1998) ; cela se confirmera avec les anti-héros de Selon Charlie, en 2006. Les similitudes avec la première œuvre sont particulièrement flagrantes. Camille (Nathalie Baye) « kidnappait » ses propres enfants dont elle n'avait plus la garde et entreprenait un périple pour tenter de retrouver leur affection ; Romand prend seul les routes de France et de Suisse mais pour maintenir lui aussi l'illusion de l'harmonie familiale et sociale. Et une détresse profonde les caractérise, leur statut social étant en porte-à-faux. Mais à l'instar de Claude Sautet, dont elle est un peu l'héritière, Nicole Garcia est davantage peintre des sentiments que sociologue. En témoignent ici les très beaux échanges entre Auteuil et Emmanuelle Devos (remarquable) dans le rôle de la maîtresse. Il faut à ce propos souligner le casting réussi, composé d'une belle brochette de seconds rôles : Géraldine Pailhas, François Cluzet, Bernard Fresson et Joséphine Derenne se meuvent avec finesse dans cette radioscopie d'un criminel.

Gérard Crespo


2h - France - Scénario et dialogues : Jacques Fieschi, Frédéric Belier Garcia - Images : Jean-Marc Fabre - Musique : Angelo Badalamenti - Montage : Emmanuelle Castro - Décors : Véronique Barneoud - Interprètes : Daniel Auteuil (Jean-Marc), Géraldine Pailhas (Christine), François Cluzet (Luc), Emmanuelle Devos (Marianne).

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