Les Temps modernes
Modern Times
Charles Chaplin
Sélection Officielle
Hors compétition

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En 1936, Charles Chaplin réalise Les Temps modernes. C'est son premier film véritablement sonore, mais pas encore une œuvre parlante (en dépit de quelques voix off). On sait que Chaplin attachait une grande importance à la magie de l'art muet et c'est en « résistant » à la nouvelle technique qu'il se posa dans les années 30 : Les Lumières de la ville (1931), gros succès public et critique, était apparu comme un baroud d'honneur contre le parlant. Si la parole est rare, le travail sur le son (le bruit des machines ou la partition musicale, signée par Chaplin lui-même), est ostensible et remarquable. En fait, Chaplin a seulement regretté que l'industrie du cinéma ait voulu imposer à tout prix le parlant, sans laisser le choix aux réalisateurs. À l'instar de René Clair (ce n'est pas une coïncidence si Les Temps modernes reprend la trame de À nous la liberté), Chaplin considère que le muet est la quintessence de l'art cinématographique et il dut être son propre producteur.
Pour la dernière fois, l'auteur reprend le personnage de Charlot, même si le barbier du Dictateur (1940) aura des similitudes avec le vagabond. Recruté dans une grande usine où il doit chaque jour resserrer des boulons, Charlot perd la raison et doit être interné. Sorti de l'hôpital, il sera pris par erreur pour un leader syndical et emprisonné quelque temps. Sa rencontre avec une jeune vagabonde (Paulette Goddard) sera sans doute le début d'une autre vie...
Virulente critique du machinisme, Les Temps modernes s'en prend sans équivoque à ce qu'il est convenu de nommer « l'organisation scientifique du travail ». Prônée par Taylor et perfectionnée par Ford avec la chaîne de montage, cette innovation majeure contribua à la production et à la consommation de masse et connaîtra son apogée pendant les Trente Glorieuses.

Dès ses débuts, ses limites sur le plan humain sont cependant mises en avant : aliénation de l'ouvrier, non reconnu dans ses qualités artisanales, et rigidité d'un « travail en miettes » ne donnant aucun sens à l'acte productif. Chaplin présente avec humour ces travers dans quelques séquences mémorables. Importurné par une mouche, Charlot prend du retard sur le convoyeur et finit par être emporté par le tapis roulant puis balayé dans un système mécanique. Épuisé et stressé par une journée de labeur, il se précipite sur une grosse dame dans la rue et, conditionné par la gestuelle, il souhaite visser ses boutons de manteau. La caméra témoigne dans ces passages d'une vivacité visuelle et d'une inventivité constante, que l'on retrouve aussi dans la brève séquence de la manifestation. L'action se déroule aussi dans le contexte de la grande dépression des années 30 qui mit un peu à mal l'« american way of life ».
L'actualité de la satire chaplinesque est évidente. Si le tayloro-fordisme est aujourd'hui assoupli, la fascination pour certaines innovations gadget n'a pas disparu. Convoqué par la direction pour tester une machine « à nourrir » le travailleur, Charlot finit par être ridiculisé par le prototype peu efficace. Le décalage entre l'innocence du héros et la sophistication de l'univers sera d'ailleurs repris par Jacques Tati, dans Mon oncle et Play Time.
Accueilli de façon mitigée à sa sortie, Les Temps modernes fut assimilé à de la propagande communiste par certains et ne reçut aucune nomination aux Oscars. Le film amplifiera le fossé entre Chaplin et l'industrie hollywoodienne. Avec le recul, il s'impose comme une œuvre majeure de l'histoire du cinéma.

Gérard Crespo


1h27 - Etats-Unis - Interprétation : Charles Chaplin, Paulette Goddard, Henry Bergman, Chester Conklin, Allan Garcia, Stanley Sanford.

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