Lola Montès
de Max Ophuls
Cannes Classics
palme
Sortie en salle : 25 décembre 1955
Reprise : 3 décembre 2008




La vie, pour elle, c'est le mouvement
Dans un cirque de la Nouvelle-Orléans, un Monsieur Loyal cynique (Peter Ustinov) introduit l'ex-courtisane Lola Montès (Martine Carol), de santé fragile, et l'exhibe dans un spectacle mettant en scène son histoire. La vie de « la femme la plus scandaleuse du monde » est alors évoquée par une série de flash-back. Sont ainsi contées l'idylle ratée avec Liszt (Will Quadflieg) en Italie, puis son adolescence avec un retour d'Inde en compagnie d'une mère désargentée (Lise Delamare) dont elle épousera l'amant (Ivan Desny). L'échec de ce mariage l'incite à quitter l'Angleterre et apprendre la danse : elle sera maîtresse d'un chef d'orchestre marié, avant de devenir « la femme la plus célèbre de la Côte d'Azur ». L'apogée de son existence a lieu à Munich où elle a d'abord une aventure avec un étudiant (Oskar Werner). Louis de Bavière (Anton Walbrook) en fait sa favorite mais en s'attirant l'hostilité des conservateurs et des révolutionnaires, Lola est obligée de fuir, en compagnie de ses fidèles domestiques (Paulette Dubost et Henri Guisol). Désabusée, elle accepte l'offre de son manager. Lola frôle la mort dans le numéro de trapèze et termine le spectacle dans une cage, où les hommes sont invités à l'approcher moyennant un dollar.

Du poème incompris au film culte
Lors de sa première sortie, ce testament d'Ophuls (qui mourra deux ans plus tard) fut sifflé par le public du samedi soir, qui s'attendait à voir la star de l'époque dans une autre mouture de Caroline chérie ou une espagnolade du style Le Chanteur de Mexico. Face à une œuvre d'avant-garde, qui bousculait la chronologie et assumait ses audaces stylistiques, la presse ne fut guère plus tendre, et reprocha à Ophuls sa lourdeur germanique et une surcharge décorative. Devant le fiasco commercial, qui coulera la société Gamma, les producteurs (qui avaient déjà imposé des coupes), charcutèrent le film et, contre le gré du cinéaste, monteront une version respectant la chronologie et agrémentée d'une voix off. Cela resta un insuccès. Entre-temps, François Truffaut fut l'instigateur d'une bataille d'Hernani des critiques. Épaulé par Rossellini et Cocteau, il se battra pour reconnaître au film son statut de chef-d'œuvre. En 1968, le producteur Pierre Braunberger sortira une version proche des souhaits d'Ophuls, et qui deviendra un classique des ciné-clubs. Réhabilité et étudié à l'université, Lola Montès ne sera pleinement restauré qu'en 2008.

Entre Citizen Kane et Mort à Venise
Reconnu comme un grand classique par les spécialistes français, Lola Montès est cependant devancé par Madame de... dans le panthéon de la cinéphilie mondiale, sans doute en raison de l'interprétation légendaire de Danielle Darrieux. Le matériau de base (un roman de gare de Cécil Saint-Laurent) n'a ici guère plus d'importance que le chichi de Louise de Vilmorin. Ophuls est aussi à l'aise dans l'adaptation de grands écrivains (Zweig, Maupassant, Schnitzler) que dans l'exécution de commandes. D'une coproduction à gros budget, avec vedettes internationales, il bâtit une « cathédrale cinématographique » (Claude Beylie) ; d'un scénario pour « presse du cœur » (Georges Sadoul), il crée un opéra baroque et crépusculaire qui n'a d'égaux que le délire wellesien de Citizen Kane, la contemplation viscontienne de Mort à Venise ou le trip temporel de 2001: l'odyssée de l'espace. La technique d'Ophuls est à son sommet, à l'instar des travellings (Lola et sa mère à l'opéra, le spectacle de flamenco devant le roi).
Mais elle est au service d'une vision d'auteur, Ophuls peignant surtout le « tourbillon de la vie » à travers la solitude d'une femme étiquetée légère par la société, et qui peine à satisfaire sa nature sentimentale.

Le hors-champ (le public posant des questions à Lola, le salut des artistes après la représentation royale) dénote une force visuelle et narrative avec une économie de moyens qui contredit les critiques initiales de débauche d'effets. Enfin, les scènes de cirques, felliniennes et d'une beauté inouïe, s'inscrustent parfaitement entre deux retours en arrière. Le début du premier flash-back, au cours duquel une spectatrice répète « la comtesse se souvient-elle ? » offre sans doute la plus belle osmose entre image, son et musique.

Une restauration majeure dans l'histoire du cinéma
La version remastérisée présentée en exlusivité mondiale au Festival de Cannes est le fruit d'un travail de longue haleine coordonné par la Cinémathèque française. La photo initiale est ainsi mise en valeur : on appréciera davantage la séquence de Lola en pleurs errant sur le pont du bateau ou la danse des Lilliputiens. Le travail sur le son est également valorisé : on sait que le film vaut par la superposition de plusieurs bribes de dialogues (le commentaire du cocher sur la cuisine italienne, les apartés du nain). La « nouvelle » Lola Montès accentue les jeux en trompe-l'œil (le laquais annonçant la fin du premier acte) ou les ambiguités entre les propos des personnages et ceux des comédiens : est-ce le roi qui prépare son discours ou Anton Walbrook qui répète ? Le trou de mémoire sur scène est-il celui de Lola ou de Martine Carol ? Surtout, la version allongée de vingt minutes restitue des dialogues allemands (les scories du doublage français disparaissent) et des séquences inédites amplifient le style contemplatif (la fuite de Munich en calèche). Le malaise du dénouement redouble lorsque Lola, dans la version restaurée, envoie un « merci » à chaque spectateur la touchant et lui donnant une pièce.

La Bavière était sa dernière chance
La production imposa Martine Carol à Ophuls. L'actrice, alors au sommet de sa gloire, et transformée en icône brune, y trouva son meilleur rôle. Mais le public refusa de voir son idole dans un film qui lui renvoyait le miroir de son voyeurisme et dénonçait les méfaits de la société du spectacle. Ce malentendu coûta cher à l'œuvre qui apparaît rétrospectivement comme une attaque contre les « jeux de la vérité » et autres dérives de la téléréalité. « Vous ne savez pas danser, mais vous avez l'art d'attirer le scandale », déclare son futur mentor à Lola, qui croit à ses dons d'artiste. Ophuls n'est ainsi pas dupe des intentions de ses producteurs. La presse de l'époque jettera ainsi la pierre, reprochant le jeu maniéré, faux ou inexpressif de l'actrice. Pourtant, elle émeut dans les séquences de cirque : transformée en « statue de cire », elle exprime une émotion contenue par son visage impavide ; et elle s'avère drôle dans la séquence de séduction du roi. Qu'elle n'ait ni le charisme de Garbo ni le talent de Darrieux importe peu : elle est Lola, de par sa beauté et sa réputation. L'insuccès flagrant du film (combiné à l'apparition de Bardot) mit un terme à son statut de super-vedette : d'échecs cuisants en come-back sans lendemain, la suite de sa carrière fut une longue agonie, dénouée par une mort tragique. Aussi, une prémonition douloureusement autobiographique rend davantage bouleversante son interprétation de Lola Montès.

Gérard Crespo

 


1h55 - 1955 - France - Scénario et dialogues : Max OPHULS, Jacques NATASON, Annette WADEMANT, d'après le roman de Cécil SAINT-LAURENT - Photo : Christian MATRAS - Musique : Georges AURIC - Montage : Madeleine GUG - Décor : Jean D'EAUBONNE - Costumes : Georges ANNENKOV, Marcel ESCOFFIER - Interprétation : Martine CAROL, Peter USTINOV, Anton WALBROOK, Ivan DESNY, Henri GUISOL, Lise DELAMARE, Paulette DUBOST, Oskar WERNER, Jean GALLAND, Will QUADFLIEG, Héléna MANSON, Germaine DELBAT.

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