Tony Manero
de Pablo Larraín
Quinzaine des réalisateurs


Sortie en salle : 11 février 2009





Synopsis : Printemps 1978, John Travolta est «Tony Manero» dans le film «La fièvre du samedi soir», et enflamme le monde du disco. Au même moment à Santiago du Chili, alors que la terrible dictature de Pinochet sévit, Raùl Peralta, 50 ans, est fasciné par ce personnage et par l'univers du film. Tous les samedis soirs, il libère sa passion pour le disco. En compagnie d'autres danseurs amateurs, il crée un spectacle dans un night club de banlieue. Quand il apprend que la télévision organise un concours du meilleur sosie de Tony Manero, Raùl y voit sa chance de devenir une star. Sa fascination se transforme en obsession. Plus rien ni personne ne pourra alors l'arrêter...

Une passion derrière la tête

L'ère de la dictature Pinochet n'aura pas fait naître un nombre important d'œuvres exportées en France. C'est ce qui nous pousse à aller voir Tony Manero, dont le contexte politique lié à une histoire universelle - on peut combattre, à petite échelle, le régime pour aller au bout de ses rêves - avait de quoi intriguer. D'autant que le film aurait pu être une éventuelle mise en abyme du cinéma, opposant aux injustices sévères qu'instaure ce climat de conflit entre les dirigeants et le peuple, à la gloire du cinéma américain, la naissance du Disco et des boules à facettes brillant de mille rêves.

Pourquoi alors Tony Manero est-il aussi inintéressant? La raison est très simple ; à la densité historique, le cinéaste préfère une banale histoire de passion où le cinéma ne se révèle même pas au cœur de l'idée scénaristique. Tout le scénario mise sur une progession hasardeuse, à tâtons, quasiment incapable de desservir le thème de la fascination qu'exerce l'art sur l'homme, jusqu'à la scène du concours final, ou Raùl impose sa chorégraphie en tant que sosie de John Travolta, comme échappé de La fièvre du samedi soir. Les pressions gouvernementales sur le peuple, la misère et la détérioration des villes n'ont aucune emprise à l'image ; Pablo Larrain se contente d'enfiler dans un montage grossier les scènes "obligées" de la reconstitution (esquivée ou, au plus, économe, ce qui n'est pas une mauvaise chose), pour se concentrer plutôt sur l'ascension délirante de ce passionné de Travolta. C'est un parti pris ; mais on ne peut que regretter que le plan historique soit relégué au rang d'un sous-thème empli d'ignorance. Là où le film aurait pu tirer toute sa richesse, Pablo Larrain lui préfère quelques scènes choquantes (une fellation de deux secondes, une scène de sexe brutale, l'agression physique d'une mamie et d'un projectionniste qui, ô malheur, a programmé Grease et non pas La Fièvre du samedi soir...).


Certes l'inattendu et le cynisme sont au cœur du récit, mais plutôt que de nous intriguer et de nous faire saliver en contournant nos attentes, le scénario se révèle incapable de tenir en ligne à peu près droite une histoire maintes fois rabâchée (et dans toutes les langues ; continuer à croire en ses rêves, alimenter encore et toujours son désir de réussite, etc...). La réalisation, pauvre et hâchée, la réduction des dialogues à un silence représentant du réalisme social de l'époque (sans pour autant que le film soit ennuyeux), l'antipathie que dégage chacun des personnages, l'incohérence formelle, et ce jusqu'à une fin abrupte et dénuée de toute réflexion sur la réussite et le pouvoir des anonymes, réduisent le film à une œuvre à priori originale mais délabrée et totalement désincarnée, pauvre dans son absence de point de vue, de conclusion, d'approche, et au final d'intérêt... Tony Manero semble tout faire pour être mal-aimé ; il semble vouloir donner la parole aux oubliés, mais pour ne rien dire, ni l'état du monde ni l'importance des petites gens, d'autant que la fin est sèchement pessimiste. Un film qui, encore une fois, appartient à ce sous-cinéma du monde venu glaner quelques prix dans de prestigieux festivals (il y a gagné un petit ticket cannois pour y être projeté), sans d'autre conviction et aboutissement (sans d'autre réussite ?) que de choquer quelque peu, pour finalement ne rien dire du tout.

Jean-Baptiste Doulcet


1h38 – Chili / Brésil - Scénario : Pablo Larraín, Alfredo Castro, Mateo Iribarren - Photo : Sergio Armstrong - Décors : Ruth Orellana - Musique : Frecuencia Mod, Bee Gees, José Alfredo Fuentes, Juan Cristóbal Meza - Montage : Andrea Chignoli - Son : Miguel Ormazábal - Interprétation : Alfredo Castro, Amparo Noguera, Héctor Morales, Paola Lattus, Elsa Poblete.

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