Des filles en noir
de Jean-Paul Civeyrac
Quinzaine des réalisateurs
palme

Sortie en salle : 03 novembre 2010





« Elle est dégueulasse notre société »

S’attachant à « regarder ce qu’il y a de plus sombre en nous », se réclamant d’un réalisme « noirissime » et se référant quasi naturellement à la vie et à l’œuvre d’Heinrich von Kleist, Jean-Paul Civeyrac transpose deux cents après le poète et écrivain trop longtemps méconnu, le drame romantique dans notre XXIe siècle.

Ce que disait l’un : « Je ne puis être heureux qu'en ma seule société, parce qu'il m'est permis, là, d'être tout à fait vrai. », Noémie le reprend à sa façon : « Tout le monde fait semblant. », s’installant et entraînant son amie Priscilla, sa sœur jumelle, dans le grand malentendu de la vie, si grand qu’il ne peut qu’aboutir à la mort.

Envie de rien, marre de tout, à l’âge où l’on porte ses états d’âme sur son apparence extérieure, Noémie – réchappée d’une première tentative de suicide – et Priscilla, 17 ans, affichent un look gothique « léger », une certaine violence et une révolte étouffée, c’est-à-dire un comportement trop ambigu pour traduire la profondeur de leur blues, l’intensité de leur pessimisme, la noirceur de leurs idées, la morbidité de leurs obsessions. De cela, elles en parlent vraiment entre elles et rien qu’entre elles, de cet écœurement d’un monde où il n’y aurait qu’elles à sauver, de cette évidence par laquelle, ne pouvant immoler ce monde-là, où même un baiser devient morsure, il est urgent de le quitter.

Leur fascination réciproque fera le reste, les engageant dans un pacte de suicide, que Noémie met froidement en scène. Fin de la première partie, soit « L’amour à mort ».

Aborder la seconde risque d’être taxé d’inconvenance, sauf que le seul fait d’avoir prononcé l’expression « pacte de suicide » en a déjà dévoilé l’issue. Car ce n’est effectivement pas dans un éventuel suspense que réside l’intérêt de ce second volet que l’on peut donc sous-titrer « La Vie après la mort » mais dans le cheminement cruel de celle qui reste, les yeux secs mais détruite.

Nihilisme, asocialité, prédestination, culpabilité : la caméra de Jean-Paul Civeyrac traque ses victimes avec une tension qui de bout en bout ne laisse aucun répit ni aucune échappatoire à la mort consentie et programmée, tout en conservant intacte la relation fusionnelle entre les deux adolescentes.

Il révèle également deux actrices, Elise Lhomeau et Léa Tissier, d’une sensibilité et d’une présence étonnantes, à qui, après cette entrée dans le cinéma dans un des films les plus sombres – ce qui en soi constitue une sorte d’exploit – des sélections présentées, semble être promises à des lendemains radieux.

Marie-Jo Astic


1h25 - France - Scénario : Jean-Paul CIVEYRAC - Interprétation : Léa TISSIER, Elise LHOMEAU, Elise CARON.

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