L'apollonide - Souvenirs de la maison close
de Bertrand Bonello
Sélection officielle
En compétition



Sortie en salle : 21 septembre 2011




« Putain de métier de putain »

Reprenant son thème de prédilection, la sexualité et ses identités diverses, Bertrand Bonello pousse la porte d’une maison close du Paris de l’entre-deux-siècles (XIX et XXes) et nous entraîne dans la ronde d’une mise en scène envoûtante d’élégance, un ballet éblouissant de lumières tamisées, de douces fragrances, de bulles de champagne et de corps de femmes. La chair des filles de l’Apollonide a beau être faible, elle n’en est que plus belle.

Où se placent-elles dans la hiérarchie qui était faite alors entre les grisettes, les lorettes, les trottins et autres lionnes ? Car la transplantation dans le temps auquel nous invite Bertrand Bonello est d’une telle acuité qu’elle nous renvoie à une époque particulièrement prégnante de l’histoire parisienne, pour ne pas dire montmartroise.

Félines, énigmatiques, capricieuses à livrer leurs mystères, faussement dociles, sous la « protection » de Mme Dellaire, Léa, Samira, Clothilde, Julie… réenchantent les soirées de ces messieurs les bourgeois parisiens. En bas l’une joue la poupée automate, en haut l’autre interroge : « Tu me trousses ou tu me déshabilles ? ».

Maison chic, filles propres… filles propres enfermées dans la maison chic. C’est donc à huis clos que sont livrées, diurnes ou nocturnes, les scènes de vie : entretien d’embauche de la candidate Pauline, dite la Petite ; service déshabillé à table (on pense à Sleeping beauty), narration épisodique aux habitués de son histoire par Madeleine, qui elle a droit à deux surnoms :

la Juive, mais aussi la Fille qui rit, suite à la mauvaise farce que lui a faite un amant d’un soir. Plus surprenant peut paraître le sobriquet de Clothilde, alias Caca : la môme Caca a pourtant bel et bien existé en ces temps-là, aux côtés de Fromage, Trompe-la-mort, Clair-de-lune, La Chatte, Rayon d’or… et autres danseuses de cancan aux nom évocateurs de Grille d’égout, Nini-patte-en-l’air, Nénette-tête-de-mouton, Belle-en-cuisses…

Une fois, une seule, les filles ont droit à une sortie, un déjeuner sur l’herbe qui, à l’instar de tous les plans du film (excepté en cas de split screen intempestif), en appelle aux cadres d’Auguste Renoir. Une scène en forme de transition entre deux enfermements et le début de naufrage de l’Apollonide et de ses filles, à qui les misères de ce « putain de métier » collent à la peau : aménorrhée, opium, syphilis, clap de fin de vie pour Julie (clap étant la traduction anglaise de chtouille) et même atrophie des capacités intellectuelles.

De Noémie Lvossky en mère maquerelle impeccable aux piliers du bordel (Xavier Beauvois, Jacques Nolot), parmi lesquels Courbet en quête d’origine du monde fait écarter aux filles leurs cuisses, en passant par la très belle pléiade d’actrices, le casting est à la hauteur des décors de satin et de velours, des costumes d’aigrettes et de soie.

Nights in white satin et autres mélodies… par tranche de 30 ans, les morceaux choisis de musique et chansons viennent faire le pont jusqu’à nos périphériques et leurs « hôtesses ». Alors, la chair devient triste…

Marie-Jo Astic


2h02 - France - Scénario : Bertrand BONELLO - Interprétation : Hafsia HERZI, Adèle HAENEL, Jasmine TRINCA, Noémie LVOVSKY, Xavier BEAUVOIS, Jacques NOLOT.

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