No
de Pablo Larrain
Quinzaine des réalisateurss
Art Cinema Award
palme

Sortie en salle : 6 mars 2013




La joie arrive enfin

Petit rappel historique : à partir de son coup d’état du 11 septembre 73 contre Allende, Augusto Pinochet fait goûter à son peuple les bonheurs du régime militaire, puis s’instaure président de la junte du gouvernement, s’autodésigne président de la République du Chili, avant de confirmer l’essai dans le cadre d’un « nouveau régime constitutionnel » qu’il met en place en mars 1981, le tout pouvant être résumé plus prosaïquement sous les termes de dictature militaire.

Le plébiscite, par lequel Pinochet compte rasseoir sa position en 1988 aboutira cependant à sa destitution, à 54 % des voix. Immense victoire des droits de l’homme bafoués pendant quinze années d’arrestations, de disparitions, de tortures, d’exil, de liberté d’expression baîllonnée à l’encontre du peuple chilien. Qu’il faudra cependant temporiser pendant encore dix ans, puisque le régime issu de ce référendum préservera au dictateur le poste de commandant en chef de l’armée, puis la fonction de sénateur à vie. Mais ne gâchons pas prématurément notre plaisir.

Après Tony Manero et Post-mortem, Pablo Larraín livre le dernier film de sa trilogie avec No, chronique de cette campagne électorale de 1988, porteuse en son temps de tous les espoirs. Au-delà de la grande Histoire, il s’attache à analyser les mécanismes médiatiques de l’époque, à travers un matériel authentique, glané auprès de témoins chiliens, journalistes, artistes, anonymes ayant conservé des traces publiées, visuelles ou sonores de cet épisode politique. À l’heure du numérique, le réalisateur a fait l’excellent choix, pour mieux servir son propos, de tourner toutes les prises en 4/3 avec des caméras d’époque. Outre que le procédé favorise les inserts des documents originaux, le résultat de l’expérience dans son ensemble est passionnant.

Pinochet ou comment s’en débarrasser, c’est la tâche qui échoit des mains des opposants à Pinochet à René Saavedra, pour ses compétences en matière de communication. À lui de franchir le pas de la publicité – Coca Free et micro-ondes qui fait son apparition sur le marché – à la propagande et à mener à bien la campagne du Non.

Avec ses contraintes inhérentes : par rapport au régime en place qui a pratiquement open antenne, le Non n’a droit qu’à quinze minutes de télévision – une première toutefois –, qu’il va falloir gérer avec le plus grand discernement.

On a beaucoup ri dans la salle aux spots d’un camp comme de l’autre, mais surtout de l’autre, moquant leur désuétude et leur caractère primaire, leur tendance affichée à prendre les gens pour des lobotomisés du cerveau. C’était oublier que moins d’un mois plus tard, en plein XXIe siècle, les flashs de campagne législative distilleraient sur nos grands écrans Led une indigence tout aussi pathétique. Il n’empêche cependant que cette intrusion dans la communication telle qu’elle fut suscite, outre sa part d’humour, un réel intérêt documentaire.

Tandis que les Oui jouent sur la peur et essaient de ressusciter le socialisme comme un mauvais souvenir, les Non, au nom de la liberté à reconquérir, prônent dans un premier temps le rappel de ce qui a marqué la dictature Pinochet, à savoir ses exactions. Mais, comme chante un certain, le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire, et les propositions paraissent trop plombées d’atrocités pour insuffler désir et envie. Qui plus est, ce n’est qu’une minorité directement touchée par la répression qui se sentirait concernée. C’est donc autour du concept de joie que les nonistes trouvent consensus.

Guzman, responsable de la campagne du Oui, use bien entendu des méthodes les plus dissuasives et subversives à l’encontre de Saavedra : surveillance, censure, intimidation, menaces sur sa femme Veronica et son fils Simon. Manifestations réprimées, résultats truqués ne parviendront cependant pas à arrêter l’Histoire en marche.

Incrédule dans un premier temps, puis clairement affichée sur le visage et dans les yeux de René Saavedra, portant son fils sur ses épaules pour qu’il puisse mieux appréhender le moment historique qu’il est en train de vivre, la joie, franche et massive, emporte la victoire.

Marie-Jo Astic


1h55 - Chili, Etats-Unis - Scénario : Pedro PEIRANO - Interprétation : Gabriel GARCIA BERNAL, Alfredo CASTRO, Antonia ZEGERS.

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