Le Congrès
The Congress
de Ari Folman
Quinzaine des réalisateurs
Ouverture


Sortie en salle : 3 juillet 2013





Une étoile est numérisée

Pour son premier film américain, Ari Folman n'a pas choisi la facilité. Adaptant une œuvre de Stanislaw Lem, il signe un scénario et réalise une mise en scène fidèles à l'univers de Valse avec Bachir, son triomphe mondial. Le Congrès peut être découpé en deux parties chronologiques. La première heure est la plus réussie, qui voit l'actrice Robin Wright interpréter son propre rôle, celui d'une star hollywoodienne ayant connu une carrière honorable et se retrouvant à un âge problématique pour les grands studios. Robin Wright, divorcée de Sean Penn, a été la vedette de Princess Bride, Toys, Forrest Gump et She's so lovely. Contactée par son agent (Harvey Keitel), elle apprend que la firme Miramount lui propose un étrange contrat : exploiter librement son image de cinéma en la scannant numériquement, ce qui permettrait de réaliser des films mettant en avant son éternelle jeunesse, l'actrice n'ayant alors plus besoin de se préoccuper de sa carrière, s'investir dans un rôle et participer à des tournages. On lui fait comprendre que le cinéma traditionnel est un art et une technique dépassés, et que son exemple sera suivi de bien d'autres. « Robin Wright » est prise d'un cas de conscience mais réalise que cette offre lui permettrait de s'occuper de son fils adolescent (Kodi Smit McPhee), atteint depuis sa naissance d'une maladie lui occasionnant une perte progressive de la vue. Cette première partie envoûte par le caractère glacial de sa mise en abyme et la vision d'un cinéma hollywoodien prêt à tout pour retarder le déclin de son industrie, n'hésitant pas à exploiter jusqu'à l'usure l'image de ses icônes. La critique n'est certes pas nouvelle. Des stars du muet victimes de la révolution du parlant et tentant de revenir sous les feux des projecteurs (Sunset Boulevard) à l'exploitation de célébrités à la télévision puis en DVD, la fiction et la réalité ont donné maintes illustrations* ; mais ici le vertige prend une autre dimension, dans tous les sens du terme.

La seconde partie du récit se déroule vingt ans plus tard. « Robin Wright » est une vieille dame oubliée mais est devenue entre temps un symbole puisque son « double numérique » a cartonné. Elle est alors l'invitée d'honneur du Congrès de la Miramount Nagasaki qui présente sa dernière invention : vivre son film sur demande, sur simple prescription. Formellement, le film passe en animation, un personnage informant l'actrice (et le spectateur) que la zone du palais des congrès est exclusivement réservée à ce mode : une substance liquide avalée permet de se voir (ou de vivre) dans le monde du dessin animé. Le Congrès prend alors une tournure lynchienne distillée dans la série B de science-fiction, ce qui pourra déconcerter, d'autant plus que le graphisme, techniquement réussi, n'a pas la splendeur esthétique de Valse avec Bachir. En fait, Ari Folman prend un virage d'écriture assez complexe, et l'on pourra perdre le fil d'une histoire basée sur les rebondissements, les frontières floues entre le passé et le présent, le réel et le virtuel, l'organique et le chimique... Une histoire d'amour maladroite et un ton lacrymal dès que le film évoque les relations entre la mère et son fils (disparu ?) atténuent en outre la force de la fable d'anticipation. De la critique hollywoodienne, l'auteur glisse vers une réflexion trop large sur la « science sans conscience » mais d'autres films américains avaient davantage convaincu dans ce registre : on songe notamment à Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol, 1997) ou Les Fils de l'homme (Alfonso Cuaron, 2006).

Au final, Le Congrès s'avère inégal mais mérite largement le détour par son sujet et son premier volet magistral.

Gérard Crespo

* L'outrage au métier d'acteur via la technique a pu se perpétuer depuis le doublage des films parlants. Le numérique agit déjà : ainsi, la "capture de mouvements" d'excellents comédiens (Jamie Bell, Daniel Craig) les réduit à des pantins dans le "Tintin" de Spielberg.

 

 


2h00 - Etats-Unis - Scénario : Ari FOLMAN, d'après le roman de Stanislaw Lem - Interprétation : Robin WRIGHT, Paul GIAMATTI, Harvey KEITEL, Frances FISHER, Danny HUSTON, John HAMM, Kodi SMIT-McPHEE, Sami GAYLE, Michael STAHL-DAVID.

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