Amour fou
de Jessica Hausner
Sélection officielle
Un Certain Regard



Sortie en salle : 4 février 2015




« Que votre âme est sœur de la mienne »

Berlin, 1811. Le jeune poète tragique Heinrich (Christian Friedel)  souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l’amour : il tente de convaincre sa cousine Marie (Sandra Hüller), qui lui est proche, de contrer le destin en déterminant ensemble leur suicide, mais la jeune femme, malgré son insistance, reste sceptique. Heinrich est déprimé par son manque de sensibilité, alors que Henriette (Birte Schnoeink), une jeune épouse que Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable.

De Jessica Hausner, nous avions bien aimé Lourdes (2011), récit d'un miracle au style épuré qui confirmait la griffe singulière d'une authentique cinéaste. Injustement passé inaperçu à Cannes 2014, ce nouveau film est dans la même veine. Si l'œuvre a davantage les apparences d'une production historique à costumes, avec reconstitution d'époque, il ne s'agit pas d'un simple biopic de plus, la réalisatrice évitant avec bonheur l'académisme du Mike Leigh de Mr. Turner. Pourtant, le récit est linéaire et retrace les dernières semaines de l'existence de Kleist. On y côtoie une société bourgeoise enfermée dans ses certitudes, et qui semble en perpétuel décalage avec le romantisme ambiant du courant littéraire de l'époque, que le poète va appliquer jusqu'au point de vouloir infléchir son destin personnel.

« J'ai senti que replacer le récit dans son contexte d’époque donnerait automatiquement au film l’ironie inhérente au recul historique, c’est-à-dire précisément cette perspective critique que j’apprécie au cinéma », a déclaré Jessica Hausner, qui préfère le réalisme au naturalisme, tout en s'inspirant de la démarche des beaux-arts, mieux à même d'opérer cette distinction. C'est ainsi qu'elle a étudié en détail des gravures d'époque dont elle s'est inspirée pour les décors, le film ayant presque été entièrement tourné en studio. Sans atteindre la perfection de Barry Lindon, Amour fou est une belle réussite formelle, les cadrages valorisant avec subtilité cette succession de plans qui semblent au cœur d'une subtile composition picturale. Et Amour fou fait ici davantage penser à la rigueur plastique de La Marquise d'Ô (1976) d'Éric Rohmer qu'au classicisme appliqué de Michael Kohlhaas (2013) d'Arnaud des Pallières, pour citer deux adaptations de Kleist au cinéma. Jessica Hautner est aussi dans la continuité esthétique et thématique de Dreyer, Bresson ou Oliveira, le dépouillement et la distance brisant toute émotion factice, sans aller jusqu'au radicalisme hermétique d'un Jean-Marie Straub.

Il serait dommage que le public passe à côté de cette œuvre intéressante sortie tardivement dans les salles, sans tapage médiatique.

Gérard Crespo

 

 


1h30 - Autriche, Allemagne, Luxembourg - Scénario : Jessica HAUSNER - Interprétation : Birte SCHNOEINK, Christian FRIEDEL, Stephan GROSSMAN, Sandra HÜLLER, Holger HANDTKE.

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