Fatima
de Philippe Faucon
Quinzaine des Réalisateurs


Sortie en salle : 7 octobre 2015




« J’accepte mes origines mais que vais-je en faire ? » (Aimé Césaire)

Fatima vit seule avec ses deux filles : Souad, quinze ans, adolescente en révolte, et Nesrine, dix-huit ans, qui commence des études de médecine. Fatima maîtrise mal le français et le vit comme une frustration dans ses rapports quotidiens avec ses filles. Toutes deux sont sa raison de vivre, sa fierté, son inquiétude aussi. Afin de leur offrir le meilleur avenir possible, Fatima travaille comme femme de ménage avec des horaires décalés. Un jour, elle chute dans un escalier. En arrêt de travail, elle se met à écrire en arabe ce qu'il ne lui a pas été possible de dire jusque-là en français à ses filles... Adapté très librement de deux recueils de poèmes de Fatima Elayoubi, il s'agit du huitième long métrage de Philippe Faucon, qui avait signé le beau et méconnu La Désintégration (2011), œuvre prémonitoire des attentats terroristes de janvier 2015. Fatima confirme les qualités d'écriture et de style d'un auteur sensible et singulier, enfant de Bresson et Pialat qui ne cède ni au naturalisme sociologique, ni au sentimentalisme, ni au nombrilisme d'un certain cinéma d'auteur français. Ce qui n'empêche pas Philippe Faucon d'aborder avec subtilité des thèmes à la fois éternels et d'actualité (le choc des cultures, le conflit des générations), d'éprouver une grande bienveillance pour ses personnages et d'avoir une griffe bien personnelle au-delà de la teneur plus ou moins autobiographique de son film. Fatima est d'abord un beau portrait de femme, Mère Courage résignée prête à tout pour le bonheur de ses filles, et qui souffre d'un manque de reconnaissance tant de la cadette que de son environnement.

De son employeuse qui la toise aux autres autres parents d'élèves qui l'ignorent, en passant par ses voisines jalouses, Fatima peine à communiquer avec son entourage, malgré sa bonne volonté, et ce pas seulement en raison des barrières de la langue. Une mise en scène sobre et sans effets se concentre sur son quotidien aliénant, dans une approche faussement documentaire qui n'est pas sans évoquer certaines séquences de Rosetta des Dardenne. On sent que l'intrigue pourrait dévier très vite vers le mélodrame lyrique, les heurts entre Souad et sa mère rappelant la violence des échanges entre Sarah Jane (Susan Kohner) et Annie Johnson (Juanita Moore) dans Mirage de la vie (1959) de Douglas Sirk. Mais là n'est pas la démarche d'un cinéaste adepte de l'ellipse et du non-dit, ce qui n'exclut pas une vision humaniste dépourvue de sécheresse. On appréciera également la remarquable direction d'actrices non professionnelles, magnifiées par la caméra. « Ce qui peut animer un interprète au moment de jouer, cela s'exprime par ces moyens-là, ceux de l'image, plus que par le texte écrit », a déclaré Philippe Faucon dans son entretien avec Ariane Allard et Dominique Martinez (Positif n° 656). On pourra d'ailleurs trouver cette approche complémentaire de celle de Samuel Benchetrit dans Asphalte, où le beau personnage de femme franco-algérienne reposait sur des dialogues subtils et le jeu sans failles de la comédienne Tassadit Mandi. Toujours est-il que Philippe Faucon propose, lui aussi, un film d'un bel optimisme et d'une touchante humanité. Ce qui n'est pas peu en cette période de racisme latent qui voit des élu(e)s de la République proférer des propos de haine et d'intolérance. Du grand art.

Gérard Crespo

 



 

 


1h19 - France - Scénario : Philippe FAUCON, d'après les recueils de poèmes de Fatima Elayoubi - Interprétation : Soria ZEROUAL, Zita HANROT, Kenza Noah AÏCHE, Isabelle CANDELIER.

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