La Fille inconnue
de Luc & Jean-Pierre Dardenne
Sélection officielle
En compétition








« Être plus fort que ses émotions »

Un soir, après l’heure de fermeture de son cabinet, Jenny (Adèle Haenel), jeune médecin généraliste, entend sonner mais ne va pas ouvrir. Le lendemain, elle apprend par la police qu’on a retrouvé, non loin de là, une jeune fille morte, sans identité. Après avoir un temps songé à faire du personnage principal un policier, les frères Dardenne n’ont pas opté pour le thriller et ont préféré cerner une femme rongée par la culpabilité et désirant mener sa propre enquête par la résolution de deux mystères : le nom de la jeune fille et les raisons de son décès, car il s’agit pour elle de réparer une négligence professionnelle et morale. À l’instar des personnages campés par Emilie Dequenne dans Rosetta ou Marion Cotillard dans Deux jours, une nuit, Jenny est une battante, et son obstination est le fil conducteur d’un récit conforme au schéma narratif des Dardenne : action dépouillée de tout artifice, description de catégories populaires précaires (les titulaires de la couverture maladie universelle sont surreprésentés chez les patients de Jenny), évocation frontale ou en filigrane de problèmes sociaux (prostitution, délinquance juvénile…). Cette narration s’inscrit dans un cadre spatial familier des auteurs (Seraing, dans la province de Liège), qui renforce un aspect semi-documentaire. Mais on ne saurait parler de véritable film social. « Ces personnages s’inscrivent dans la réalité d’ici et maintenant. Ils appartiennent à cette partie de la société qui est violemment marginalisée. Cependant, nous n’avons jamais voulu faire d’eux des "cas sociaux". Jenny, quand elle rencontre ses patients, les considère comme des êtres singuliers, pas comme des '"cas". Nous faisons de même », ont déclaré les deux frères.

Par ailleurs, dans cet univers balisé que les cinéastes ont exploré dans tous leurs films, de La Promesse au Gamin au vélo, l’ancrage social est moins important que le portrait d’un cheminement intérieur. Individualiste et carriériste, Jenny se trouvera confrontée au même problème que le médecin stagiaire qu’elle réprimandait, lui martelant qu’il faut « être plus fort que ses émotions ». En ce sens, La Fille inconnue est l’histoire d’une renaissance puisque Jenny redécouvre le sens de la vie en se tournant vers les autres. Adèle Haenel, sobre et au jeu contenu, est l’interprète idéale de ce personnage complexe. Des acteurs très justes, familiers du cinéma des Dardenne, lui donnent la réplique, de l’incontournable Olivier Gourmet à Thomas Doret en passant par Fabizio Rongione et Jérémie Renier, dont le personnage de père de famille dépassé par les événements fait un peu écho à celui qu’il incarnait dans L’Enfant. Le cinéma des Dardenne paraît certes plus policé qu’à cette époque : les scénarios « coup de poing » et le style « caméra à l’épaule » ont été remplacés par un ton plus pondéré, d’où sans doute l’accueil poli mais froid de certains festivaliers. Mais l’essentiel de leur art est intact, et si les deux cinéastes sont moins en mesure d’imposer un choc à chaque nouveau film, La Fille inconnue est une œuvre d’un haut niveau qui touche par son émotion discrète mais réelle.

Gérard Crespo


1h53 - Belgique, France - Scénario : Luc & Jean-Pierre DARDENNE - Interprétation : Adèle HAENEL, Jérémie RÉNIER, Olivier GOURMET, Thomas DORET, Christelle CORNIL, Fabrizio RONGIONE, Morgan MARINNE, Olivier BONNEAUD.

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