Sorcerer
de William Friedkin
Sélection officielle
Cannes Classics

Cinéma de la Plage







Le salaire de l'audace

Trois hommes sont amenés à fuir leur pays pour des motifs divers. Manzon (Bruno Cremer), banquier à Paris, risque la prison pour cause de spéculation. Scanlon (Roy Scheider), minable escroc new-yorkais, est recherché par des truands. Kassem (Amidou), terroriste palestinien, a la police israélienne à ses trousses. On les retrouve tous les trois gagnant péniblement leur vie en travaillant comme ouvriers dans une raffinerie de pétrole au fin fond de l'Amérique du Sud. Repaire des damnés de la terre, le petit village où ils vivent est un bidonville insalubre et sordide. Ils ne tardent pas à vouloir quitter cet enfer. Mais une importante somme d'argent, qu'ils ne possèdent naturellement pas, leur est nécessaire pour y parvenir... Après les triomphes de French Connection et L'Exorciste, William Friedkin obtint des studios hollywoodiens de confortables moyens pour adapter à l'écran le roman de Georges Arnaud qui avait déjà inspiré Henri-Georges Clouzot avec Le Salaire de la peur (1953), interprété par Yves Montand et Charles Vanel. Le remake réalisé par Friedkin eut d'ailleurs pour titre français Le Convoi de la peur, qui trompa le public de l'époque, Sorcerer n'étant ni un film fantastique, ni un véritable blockbuster d'action. Le tournage fut cauchemardesque, à l'image de la sortie commerciale de l'œuvre, archétype du film maudit, rarement diffusée au petit écran, et longtemps introuvable en VHS ou DVD. Désistement de Steve McQueen et Lino Ventura pour les rôles principaux, guerre civile et maladies tropicales sur les lieux de tournage, conditions métérologiques atroces, hostilité des populations locales peu enclines à accueillir le cinéaste de L'Exorciste, despotisme de ce dernier, dépassement de budget... L'accumulation de déboires se poursuivit avec un montage qui tronqua le film de trente minutes, un accueil critique déplorable et un insuccès public sans appel. Dans la lignée des Rapaces d'Erich von Stroheim ou Lola Montès de Max Ophuls, ce chef-d'œuvre du 7e art devra attendre quelques décennies pour sortir de son purgatoire. Qu'est-ce qui fait donc de Sorcerer une pépite du cinéma ? C'est d'abord un prologue éblouissant, se déroulant dans quatre parties du globe, et qui révèle tant la maîtrise du montage alterné que l'appropriation d'une certaine approche documentaire.

Friedkin anticipe par ailleurs dans cette première heure les codes du film choral que porteront à la perfection des œuvres de Robert Altman, Paul Thomas Anderson ou Paul Greengrass. Ce sont ensuite des séquences hallucinatoires éblouissantes, métaphores de l'hostilité de la Nature et de la noirceur humaine, qui font du film le chaînon manquant de toute une série de récits emblématiques de la décennie, de Délivrance à Apocalypse Now en passant par Aguirre, la colère de Dieu. Le réalisateur est ici épaulé par une équipe artistique et technique sans faille, à commencer par Dick Bush et John M. Stephens à la photo ou Tangerine Dream pour la partition musicale. On songe même à l'univers poisseux, onirique et tellurique des romans de Gabriel Garcia Marquez, dont Sorcerer réussit à retrouver l'esprit et la force dramatique et suggestive. Le film de Friedkin se permet en outre des digressions imprévues et des allusions politiques et économiques audacieuses (notamment sur le conflit israélo-palestinien ou le rôle équivoque de certaines firmes américaines dans des trafics peu orthodoxes...). L'alternance de style contemplatif et de scènes mouvementées, l'absence de stars internationales et le pessimisme ambiant du propos ont sans doute suffi pour discréditer définitivement le film en 1977, quand ces contrastes en font aujourd'hui la singularité. Le spectateur de 2016 ne pourra en effet qu'être ébloui par ce monument narratif et visuel au mysticisme vertigineux et au réalisme glauque, qui culmine avec un suspense magistral autour d'un chargement de nitroglycérine à travers la jungle sud-américaine. En 2014, le film fut l'objet d'une restauration effectuée par Warner, sous la supervision de Ned Price et William Friedkin (scan 4 K à partir du négatif 35mm, travail audio à partir des quatre pistes stéréo 35mm par Aaron Levy, supervision de l’étalonnage par Bryan McMahan). Le director's cut enfin retrouvé permit une reprise en salles en 2015. C'est cette version que présentera William Friedkin lui-même lors de la projection Cinéma de la Plage organisée par Cannes Classics, en plus de la « leçon de cinéma » que beaucoup de festivaliers attendent avec impatience. Car l'auteur de Cruising et de Bug est désormais largement réhabilité auprès de la cinéphilie internationale.

Gérard Crespo



 

 


1977 - 2h01 - États-Unis - Scénario : Walon GREEN, d'après le roman de Georges Arnaud - Interprétation : Roy SCHEIDER, Bruno CREMER, Francisco RABAL, AMIDOU, Jean-Luc BIDEAU, Jacques FRANÇOIS.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS