Wolf and Sheep
de Shahrbanoo Sadat
Quinzaine des Réalisateurs
Art Cinema Award






Le temps des loups et des fées

Dans une région éloignée d’Afghanistan, les gens croient dur comme fer aux histoires qu’ils inventent pour expliquer les mystères du monde. La montagne appartient aux enfants bergers. Bien que les adultes ne les surveillent pas, ils suivent les règles, la principale étant que garçons et filles ne doivent pas être ensemble. Les garçons s’entraînent à la fronde avec l’espoir d’effrayer les loups, les filles fument en secret et jouent à se marier. Elles se moquent et tiennent à l’écart Sediqa, qu’elles tiennent pour maudite. Qodrat devient lui aussi le sujet des commérages quand sa mère se remarie avec un homme âgé qui a déjà deux épouses. Et un jour, il rencontre Sediqa... Shahrbanoo Sadaat est une réalisatrice afghane d'origine iranienne, qui vit à Kaboul. Bien que candidate a la Caméra d'or cette année, elle est une habituée de Festival de Cannes. Son premier court métrage, A Smile for Life (2009) était passé par le Short Film Corner tandis que le second, Vice Versa One, avait été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2011. Wolf and Sheep est son premier long métrage et a été conçu à la Cinéfondation en 2010. La jeune femme, alors âgée de vingt ans, était la plus jeune réalisatrice jamais sélectionnée. Coproduction française, danoise, suédoise et afghane, le film est ouvertement autobiographique, puisque Shahrbanoo Sadaat a passé sept années de son enfance dans un petit village rural afghan, et a eu du mal à s'y intégrer. Des commérages sur tel homme qui a trois épouses en passant par les rituels des voisins d'un ensemble de douze maisons entourées par des hautes montagnes, les souvenirs de la réalisatrice irriguent une intrigue minimaliste, où l'on cherchera en vain le moindre sensationnalisme.

« À dix-huit ans, je suis partie à Kaboul, la capitale. J’y ai étudié le cinéma et ai commencé à réaliser des films. Ma volonté de faire le portrait d’un Afghanistan complexe au travers de la description de la vie quotidienne a fait de moi une outsider parmi mes compatriotes cinéastes, mais cela ne me gêne plus. Je veux débarrasser mon pays des clichés et montrer à quel point sa culture est riche au moyen d’images encore jamais vues », a déclaré Shahrbanoo Sadaat. À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, sa démarche n'est pas sans évoquer celle de nombreux jeunes réalisateurs. Comme Oliver Laxe qui avait dirigé des enfants marocains dans Vous êtes tous des capitaines, Shahrbanoo Sadaat a établi une complicité avec des autochtones, dont des enfants et jeunes ados qui jouent plus ou moins leur propre rôle. La mise en scène est dépouillée, et en dépit de deux séquences oniriques (la menace du loup prédateur et l’apparition nocturne d’une « fée verte » entièrement nue), la caméra reconstitue avec distance mais minutie le quotidien d'une population trop méconnue du spectateur occidental, et propose un regard délicat sur l'enfance : des angoisses des petits bergers tenus responsables de la survie des brebis aux baignades furtives et ludiques pour oublier l'âpreté de l'existence, Sharbanoo Sadaat prend son temps pour capter l'essence d'un peuple, préférant le style contemplatif au ton misérabiliste. Si Wolf and Sheep frappe par la rigueur de son esthétique et la sincérité de son projet, il n'échappe pas malgré tout à un certain académisme de festival, un ennui distingué pouvant vite gagner le spectateur le mieux intentionné. Mais il révèle une authentique artiste, justement récompensée au palmarès de la Quinzaine.

Gérard Crespo

 



 

 


1h26 - Afghanistan - Scénario : Shahrbanoo SADAT - Interprétation : Ali KHAN ATAEE, Amina MUSAVI, Masuma HUSSAINI.

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