120 battements par minute
de Robin Campillo
Sélection officielle
En compétition
Grand Prix
Prix Fipresci
Prix François Chalais
Queer Palm








« Si je suis amoureux de lui, c’est peut-être parce qu'il va mourir. »

Après Eastern Boys, Robin Campillo explore une autre approche de l'homosexualité, moins intimiste, et davantage militante et lyrique, même si l'action collective décrite dans le récit fait écho au drame individuel vécu par un jeune couple. La veine autobiographique est également plus marquée : le cinéaste avait intégré l'association Act Up en 1992, alors que le sida suscitait des ravages intenses dans la communauté gay, et que les pouvoirs publics se montraient toujours particulièrement frileux quant aux moyens de prévention et de financement de traitements innovants. Le film de Campillo est d'abord l'évocation historique d'une époque où Internet et les réseaux sociaux numériques n'existaient pas, mais où la médiatisation des actes militants était déjà recherchée par les acteurs de mouvements revendicatifs. Loin de se complaire dans la reconstitution minutieuse et académique, le réalisateur donne au film le souffle d'une épopée, au prix d'une subjectivité assumée, les procédés controversés d'Act Up (des agressions avec du faux sang) étant ici justifiés par la nécessité de dénoncer la politique de l'autruche des gouvernants ou la rapacité des laboratoires pharmaceutiques. 120 battements par minutes fourmille de séquences fortes, avec ces assemblées générales où la solidarité n'empêche pas les divisions internes, et qui substituent les claquements de doigts aux applaudissements. La mort inéluctable mais injuste de camarades de combat, les affrontements avec les forces de l'ordre ou la volonté de transformer de sinistres parades en Gay Pride festives mènent à des scènes déjà d'anthologie bien mises en avant par un montage percutant.

Le meilleur du film reste toutefois le portrait de l'amour naissant entre Sean (Nahuél Pérez Biscayart) et Nathan (Arnaud Valois), dont les liens fusionnels ne seront brisés que par la mort, le réalisateur ne jouant jamais sur la corde sensible et larmoyante, et donnant à ses personnages la dignité des protagonistes d'une tragédie antique. « Ce qui m'intéresse, ce sont les modifications d'état, de perspective, d'échelle. La façon dont, quand un personnage bascule d'une émotion à l'autre, le théâtre de la réalité lui-même change de couleur ou de registre. Je cherche un cinéma où le spectateur n'a pas de boussole, où il est dans une cartographie mouvante où tout peut sans cesse vaciller. Par exemple, l'action au lycée s'achève sur le baiser provocateur de Sean à Nathan ; puis on bascule dans une scène de club joyeuse et naïve ; puis de la boîte, le couple glisse dans un lit. Je me suis d'ailleurs amusé à ramener des éclairages de boîte de nuit dans la chambre pour mieux perdre le spectateur et le faire chavirer dans des moments de sensation pure », a déclaré Robin Campillo. La virtuosité n'est pourtant pas gratuite, et confirme une authentique démarche créatrice. Il faut aussi souligner l'harmonie du travail des collaborateurs artistiques et techniques, de la photo de Jeanne Lapoirie à la musique d'Arnaud Rebotini. Surpassant les mélos hollywoodiens de type Philadelphia ou les expériences naguère tentées par Cyril Collard (Les Nuits fauves, qui paraît rétrospectivement bien narcissique), ou Paul Vecchiali (le redoutable Encore/Once more), 120 battements par minutes est indiscutablement un grand moment de cinéma.

Gérard Crespo


2h15 - France - Scénario : Robin CAMPILLO, Philippe MANGEOT - Interprétation : Nahuel PEREZ BISCAYART, Adèle HAENEL, Arnaud VALOIS, Antoine REINARTZ, Aloïse SAUVAGE, Caroline PIETTE.

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