Ava
de Léa Mysius
Semaine de la Critique
Prix SACD










Les envies d'Ava

Ava, treize ans, est en vacances au bord de l'océan quand elle apprend qu'elle va perdre la vue plus vite que prévu. Sa mère décide de faire comme si de rien n’était pour passer le plus bel été de leur vie. Ava affronte le problème à sa manière. Elle vole un grand chien noir qui appartient à un jeune homme en fuite… Pour son premier long métrage, Léa Mysius a utilisé son scénario de fin d’études de la Femis. Nourri en partie de souvenirs personnels, le film séduit par son originalité de ton et sa capacité à brouiller les pistes. Le début du récit, qui voit une jeune fille dormir sur une plage bondée, et approchée par un chien noir, installe d’emblée la trouble ambiance de cette œuvre à entrées multiples. « Il y a forcément beaucoup de choses de moi dans ce film mais ce n’est pas autobiographique pour autant. Les décors sont les lieux de mon enfance et les personnages et les situations sont inspirés de choses que je connais ou que j’ai lues, vues. Ava a un rapport compliqué avec sa mère, c’est assez courant à l’adolescence. Dans le rapport mère-fille, ce qui m’intéressait c’était aussi le rapport entre deux générations : la mère, soixante-huitarde, libre, à l’aise avec son corps, et sa fille, beaucoup plus pudique, inquiète du présent et de l’avenir et presque plus conservatrice parfois. Ava va apprendre à s’ouvrir, notamment au contact de Juan et parce qu’à cause de sa maladie, il faut qu’elle apprenne à faire confiance aux autres. » Ces remarques de la réalisatrice pourraient laisser penser qu’Ava est un portrait sociologique de son temps. Il n’en est rien. On se croirait plutôt, au vu des premières séquences, dans un conte de saison cher à Rohmer, Ava à la plage étant amenée à côtoyer des adultes et adolescents se livrant à un jeu de séduction trompeur dans ses apparences.

Mais la narration emprunte ensuite la piste d’un délicat portrait de jeune fille, quelque part entre le classicisme psychologique du Claude Miller de L’Effrontée et la poésie suggestive de Naissance des pieuvres de Céline Sciamma. Comme ces cinéastes, Léa Mysius traite de façon à la fois suggestive et frontale le thème des transformations de la puberté et de la montée du désir, tout en refusant les codes du teen movie ou du réalisme social. Si Ava est donc bien une petite cousine des personnages incarnés naguère par Charlotte Gainsbourg ou Adèle Haenel, le film de Léa Mysius lui donne une dimension particulière de par son statut médical : Ava perd la vue et désire exploiter ses autres sens, tout en souhaitant vivre une expérience radicale à hauts risques. Et un autre film, bien plus radical et singulier, se présente alors, où la réalisatrice détourne avec talent les conventions du polar et de l’onirisme, bien aidée par le travail de son directeur de la photo Pierre Guilhaume. Si le spectateur pourra songer, pêle-mêle, à La Nuit du chasseur, Les Yeux sans visage, Bonnie and Clyde, le cinéma de Tony Gatlif, voire le récent Grave, Ava n’est pas écrasé par ces références et révèle une réalisatrice douée pour distiller un climat équivoque. Léa Mysius a par ailleurs choisi un casting judicieux, de la lumineuse révélation Noée Abita aux jeunes non professionnels, en passant par Laure Calamy dans le rôle de la mère : cette dernière qui avait incarné des seconds rôles pour Thomas Bidegain, Justine Triet ou Alain Guiraudie confirme ici un réel tempérament d’actrice.

Gérard Crespo

 



 

 


1h45 - France - Scénario : Léa MYSIUS - Interprétation : Noée ABITA, Laure CALAMY, Juan CANO, Daouta DIAKHATE, Baptiste ARCHIMBAUD.

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