L'Empire des sens
Ai no korîda
de Nagisa Oshima
Sélection officielle
Cannes Classics






L'amour à mort

Une présentation de Argos Films et de TAMASA. Numérisation et restauration 4K à partir du négatif original par Eclair. Restauration son à partir du magnétique son original par L.E. Diapason. Sortie en salles françaises.

1936, dans les quartiers bourgeois de Tokyo. Sada Abe aime épier les ébats amoureux de ses maîtres et soulager de temps à autre les vieillards libidineux. Son patron, l'aubergiste Kichizo, bien que marié, va bientôt manifester son attirance pour elle et l'entraîner dans une escalade érotique qui ne connaîtra plus de bornes. Produit par Anatole Dauman, L'Empire des sens est basé sur un fait divers ayant défrayé la chronique : Sada Abe avait été retrouvée errant dans les rues, après avoir assassiné et castré son amant. Oshima s'était jusqu'alors penché sur des problèmes davantage sociopolitiques, en osmose avec la société japonaise de son temps, abordant le malaise de l'adolescence dans Contes cruels de la jeunesse, ou la peine de mort dans La Pendaison. Pourtant, L'Empire des sens évoque aussi, en mode plus implicite, la question des rapports sociaux. Ancienne geisha devenue servante, Sada va entrer dans une relation fusionnelle avec Kichizo, membre de la petite bourgeoisie, qu'elle dépossédera du plus intime de lui-même. On peut y voir une métaphore de la vengeance des opprimés, faisant écho au retournement de situation disséqué par Joseph Losey et Harold Pinter dans The Servant.

On peut aussi y lire un témoignage sur une tendance de la culture japonaise, remontant au Xe siècle, valorisant le « savoir aimer » au sein de la classe aristocratique et un raffinement des mœurs sexuelles, en dépit de la brutalité de la dernière partie du film, davantage en phase avec l'ère des samouraïs. Loin de surfer sur la vague érotique et cinématographique des années 70 (le public de Just Jaeckin et Gérard Damiano ne fut pas la cible des producteurs), L'Empire des sens échappe à l'obscénité par la rigueur de ses plans et l'épure de sa mise en scène, sans chercher la séduction consensuelle : Oshima refuse l'esthétisme de salon, en dépit de la photo léchée de Hideo Itô, chef opérateur de Kôji Wakamatsu (Les Anges violés), et d'un décor de Jusho Toda qui privilégie un cadre feutré. Concernant son art, Oshima a déclaré dans Écrits : 1956-1978 (Cahiers du Cinéma Gallimard) : « Au début je me tenais pour quelqu'un qui souhaitait détruire toutes les esthétiques et cependant, de film en film, je découvre une esthétique qui m'est propre […] Si je devais m'en expliquer, il y aurait échange entre une forme d'ascèse et un sentiment ineffablement épicurien ». Cette autoanalyse convient pleinement à L'Empire des sens qui pourra aussi faire songer aux récits de Bataille, Artaud et Sade. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 1976, le film connut un succès mondial mais sortit dans une version tronquée au Japon, Oshima ayant même fait l'objet d'un procès, à l'issue duquel il fut acquitté.

Gérard Crespo



 

 


1976 - 1h43 - Japon, France - Scénario : Nagisa OHIMA - Interprétation : Eiko MATSUDA, Tatsuya FUJI, Aoi NAKAJIMA, Yasuko MATSUI.

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