Okja
de Bong Joon-ho
Sélection officielle
En compétition








Le sang des bêtes

Pendant dix années idylliques, la jeune Mija s'est occupée sans relâche d'Okja, un énorme animal au grand cœur, auquel elle a tenu compagnie au beau milieu des montagnes de Corée du Sud. Mais la situation évolue quand une multinationale américaine capture l’animal et le transporte jusqu'à New York où Lucy Mirando, la directrice narcissique et égocentrique de l'entreprise, a de grands projets pour le cher ami de la jeune fille... La polémique Netfllix a sans doute nui à ce film jubilatoire, l’un des meilleurs de Bong Joon-ho. Si le cinéaste a jusqu’à présent fait le grand écart entre le cinéma d’auteur (Mother) et le blockbuster (Snowpiercer), Okja accomplit une synthèse de sa filmographie et réunit plusieurs constantes de sa thématique et de son univers : l’efficacité narrative du polar Memories of Murder, l’intérêt pour les créatures mutantes à l’instar du film fantastique et de science-fiction The Host, ou le portrait d’une personne prête à tout pour défendre ses convictions et son équilibre affectif : la jeune Mija fait ici écho à la veuve de Mother décidée coûte que coûte à défendre son fils. Co-production américano-coréenne, Okja nous transporte de New York à Séoul en passant par la montagne coréenne, avec un sens du conte et de la métaphore que l’on ne saurait nier. Même l’excès de certains personnages (les sœurs jumelles Mirando campées par Tilda Swinton, le savant fou incarné par un Jake Gyllenhaal en roue libre) donne une touche cartoon jouissive, dans la lignée des meilleurs films d’action hollywoodiens. Le sujet est certes dans l’air du temps, ou comment une firme transnationale (copie de Monsanto ?) réussit à faire croire qu’elle promeut une alimentation bio alors qu’elle cache un honteux commerce d’organismes génétiquement modifiés. Et si le film convaincra peut-être des spectateurs de changer leurs habitudes alimentaires, l’essentiel n’est pas là, l’œuvre méritant mieux que de servir de prétexte à un débat de société sur la sécurité alimentaire et l’équilibre de l’écosystème.

On pourrait faire le parallèle avec Soleil vert de Richard Fleischer qui avec un sujet similaire a sa place dans les cinémathèques davantage que les forums environnementaux. Le grand mérite du cinéaste est d’avoir trouvé une harmonie entre les trois décors géographiques, sans que cela perturbe l’équilibre dramatique et esthétique du film. La partie champêtre a pu faire ricaner certains, de par son côté disneyen et anthropomorphique, la jeune fille et la bête entretenant par ailleurs des rapports de camaraderie que n’auraient pas désavoués le Spielberg de E.T. ou le Peter Jackson de King Kong. Cet aspect naïf et puéril est compensé par un sens du rythme remarquable, qui éblouit dans les séquences à Séoul, avec une course-poursuite déjà d’anthologie. Mais Bong Joon-ho se surpasse dans la dernière partie new-yorkaise, avec les scènes dans l’abattoir, audacieuses dans ce genre de production, et qui resteront dans l’histoire du cinéma au même titre que le court-métrage Le Sang des bêtes de Georges Franju ou le début du récent Corps et âmes d’Ildikó Enyedi. On appréciera aussi la peinture acerbe des militants écologistes (truculent Paul Dano), loin de l’image consensuelle véhiculée par les nombreux documentaires et fictions politiquement correctes qui ont envahi les écrans depuis les brûlots d’Al Gore (voir le médiocre Une suite qui dérange, le temps de l'action). Privé de salles de cinémas depuis ses projections cannoises et sa présentation dans le cadre du Festival So Film, Okja est pour le moment uniquement visible sur le site payant Netflix. Il est dommage que le réalisateur qui dénonce ici les dérives du capitalisme tout en ayant réalisé un film majeur se soit accommodé d’un tel contrat d’exclusivité…

Gérard Crespo


2h -États-Unis - Scénario : BONG Joon-ho, Jon RONSON - Interprétation : AHN Seo-hyun, Tilda SWINTON, Jake GYLLENHAAL, Giancarlo ESPOSITO, Lily COLLINS, Paul DANO, Steven YEUN, Shirley HENDERSON.

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