Le Redoutable
de Michel Hazanavicius
Sélection officielle
En compétition








«Le plus con des Suisses pro-palestiniens »

Après le ratage de The Search, Michel Hazanavicius retrouve le tonus avec ce film enlevé, synthèse de la veine parodique de ses OSS 177 et du cinéma de cinéphile mis en avant par The Artist. Il s’agit de la libre adaptation de récits autobiographiques d’Anne Wiazemsky, actrice découverte dans Mouchette de Robert Bresson et que Jean-Luc Godard fit tourner dans La Chinoise (1967), avant de partager sa vie pendant quelques années. La jeune comédienne, de dix-sept ans sa cadette, était la petite-fille de François Mauriac et deviendra l’égérie d’un certain cinéma d’auteur européen (Garrel, Pasolini…), avant de s’orienter vers la littérature. Le Redoutable décrit le virage idéologique de Godard dès mai 1968, et les effets dévastateurs sur son couple. Loin de se livrer à une hagiographie du réalisateur d’À bout de souffle, Hazanavicius filme sur un ton incisif la dérive radicale d’un artiste considéré dans la première moitié des années 60 comme un cinéaste majeur ayant révolutionné l’esthétique du 7e art, et qui entre progressivement dans un délire sectaire, refusant en bloc tout le cinéma classique qu’il juge aliénant et conforme à l'ordre bourgeois. Godard va même jusqu’à renier ses propres films ainsi que ceux des maîtres qu’il admire (Renoir, Lang…), et prend plaisir à être condescendant envers des cinéastes jugés trop romanesques (Truffaut), faussement politiques (Bertolucci), ou d’une vaine subversion (Ferreri). C’est que le culte de Mao accapare l’esprit du jeune bourgeois suisse pour qui le cinéma ne peut être conçu que comme une démarche collective, apte à susciter l’élan révolutionnaire, et qui expérimentera sa doxa avec le groupe Dziga-Vertov. Jeune bourgeoise émancipée, étudiante en philosophie, Anne tombe vite amoureuse d’un artiste qui lui a ouvert l’esprit, avant d’exercer un ascendant malsain sur elle. Suffisant, sentencieux, misogyne et donneur de leçons, Jean-Luc Godard est ici dépeint comme un cuistre arrogant, dont le harcèlement fait écho à celui du Jean Yanne de Nous ne vieillirons pas ensemble. Le mérite de Michel Hazanavicius est de tenter de démystifier un réalisateur dont le moindre aphorisme et tout nouveau film, même raté, font encore pâmer des fans qui lui vouent un culte irrationnel et sans réserve.

Car si Godard restera un créateur souvent inspiré, de Passion à Nouvelle vague, force est de reconnaître que seule sa première décennie de filmographie restera dans les annales du cinéma. Le Redoutable est aussi le beau portrait d’une actrice qui passe de l’enthousiasme à la désillusion, et les séquences des débats dans une assemblée étudiante, d’un week-end dans une villa cossue ou d’une discussion vive avec un couple d’amis (Bérénice Bejo et Micha Lescot) sont ici révélatrices. Sur le plan formel, le film d’Hazanavicius joue beaucoup sur l’esthétique visuelle des années 1965-70, misant sur l’impact des vignettes en couleur et des documents d’époque. Le réalisateur ne cherche bien évidemment pas à singer l’art de Godard, mais plutôt à lui rendre hommage (le rôle des cartons avec leurs jeux de mots évocateurs…). D’aucuns jugeront la charge trop facile, la caricature prenant le pas sur une véritable analyse d’un réalisateur dont les projets étaient sans doute plus complexes. Mais Hazanavicius a un sens incontesté des dialogues et du rythme dans une narration élégante et jouissive pour tout amateur du 7e art. Si son regard sur Godard est critique, il n’en demeure pas moins respectueux et admiratif envers le créateur : « À la recherche d'idéaux et pour l'amour de la révolution, cet homme va tout détruire autour de lui. Ses idoles, son milieu, son travail, ses amis, mais aussi son couple, et même son nom, pour finir par se détruire lui-même. Et Anne, elle, va être le témoin de cette dérive, elle va l'aimer tant qu'elle le peut, mais ne pourra pas le suivre et restera impuissante face à cette force autodestructrice. Au fond, il n’a rien à lui reprocher. Et elle non plus. Mais ils s'éloignent malgré eux, et ne peuvent que se séparer finalement. Je trouvais ça très beau ». Louis Garrel est étonnant dans son incarnation du maître et trouve peut-être ici son meilleur rôle. Stacy Martin, révélée dans Nymphomaniac de Lars von Trier, ne démérite pas, mais son physique et son jeu évoquent moins la sophistiquée Anne Wiazemsky que la charmante Chantal Goya, interprète de Masculin féminin.

Gérard Crespo


1h42 - France - Scénario : Michel HAZANAVICIUS, d'après les récits autobiographiques "Une année studieuse" et "Un an après" d'Anne Wiazemsky - Interprétation : Louis GARREL, Stacey MARTIN, Bérénice BEJO, Grégory GADEBOIS, Jean-Pierre MOCKY, Tanya LOPERT, Micha LESCOT.

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