El Presidente
La Cordillera
de Santiago Mitre
Sélection officielle
Un Certain Regard









L'ivresse du pouvoir

Au cours d’un sommet rassemblant l’ensemble des chefs d’État latino-américains dans un hôtel isolé de la Cordillère des Andes, Hernán Blanco, le président argentin, est rattrapé par une affaire de corruption impliquant sa fille. Alors qu’il se démène pour échapper au scandale qui menace sa carrière et sa famille, il doit aussi se battre pour des intérêts politiques et économiques à l’échelle d'un continent... Santiago Mitre est l'auteur de El Estudiante ou récit d'une jeunesse révoltée (2011) et Paulina, présenté à la Semaine de la Critique 2015, qui obtint le Prix Nespresso et le Prix Fipresci. Le présent film est plus délibérément politique et sarcastique et se présente sous la forme d'un petit jeu de massacre, quelque part entre le Nanni Moretti du Caïman et le Pablo Larrain de No. Avoir confié le rôle du président à Ricardo Darin n'est déjà pas en soit innocent : l'acteur apporte la dérision et le trouble qu'il déploya naguère dans Les Neuf reines ou plus récemment dans Les Nouveaux sauvages : un jeu à la fois distancié et exubérant, qui donne ici une image particulièrement équivoque et inquiétante de l'homme politique. De François Fillon à Donald Drump en passant par Jérôme Cahuzac ou Dominique Strauss-Kahn, les figures de la corruption et de la déviance du politicien, d'ordre public ou privé, ont suffisamment fait la une des gazettes pour que le spectateur français puisse avoir déjà des représentations des malversations et compromissions que l'on voit étalées sur l'écran. Santiago Mitre ne force pas le trait, et propose un petit théâtre de la cruauté qui invite à se méfier des faux-semblants et des apparences. Le film transcende alors son contexte politique pour mettre en évidence l'hypocrisie des rapports sociaux : si « chacun à ses raisons » comme dirait Renoir, force est de constater que la ruse et le pouvoir de manipulation vont permettre aux plus puissants de se distinguer.


« Le film commence de manière documentaire : nous entrons dans la résidence présidentielle par la petite porte, nous déambulons dans le dédale des couloirs, puis nous rencontrons les collaborateurs du président et enfin le président lui-même. Nous le suivons à Santiago du Chili, nous découvrons avec lui l’hôtel où se déroule le sommet, nous faisons la connaissance des autres présidents, et jusque-là le film reste très réaliste. Le ton commence à changer au moment où apparaît la fille de Blanco. Ses états d’âme contaminent le film qui devient plus étrange. Les séances d’hypnose viennent renforcer ce décalage volontaire avec le réel. Nous sommes alors dans une construction presque mentale qui renvoie aux personnages eux-mêmes. Du coup, quand nous revenons au cœur des négociations politiques, l’étrange et le réel se superposent. L’arrivée du conseiller américain est en ce sens très révélatrice de l’ambiance qui habite désormais le film : la rencontre entre lui et Blanco est très ambiguë, chacun agit un peu bizarrement ». Ces propos du cinéaste confirment sa démarche, qui est de jouer sur plusieurs registres, sans renier pour autant la charge corrosive politique, réelle pendant toute la durée du film. Les interprètes semblent adhérer pleinement au dispositif de Santiago Mitre : outre Ricardo Darin, on appréciera les prestations de Elena Anaya (La Piel que habito), Dolores Fonzi (Truman), et surtout Christian Slater, dont le jeu a bien gagné en maturité depuis sa composition de moinillon dans Le Nom de la Rose. En dépit de quelques chutes de rythme et confusions dans la narration, El Presidente se laisse voir avec intérêt et confirme l'inspiration de son réalisateur.

Gérard Crespo



 

 


1h54 - Argentine, France, Espagne - Scénario : Santiago MITRE, Mariano LLINAS - Interprétation : Ricardo DARIN, Christian SLATER, Dolores FONZI, Erica RIVAS, Elena ANAYA, Paulina GARCIA, Alfredo CASTRO.

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