Ingmar Bergman, une année dans une vie
Bergman - ett årr, ett liv
de Jane Magnusson
Sélection officielle
Cannes Classics





Hors d'atteinte

Tandis que dans À la recherche d’Ingmar Bergman Margarethe von Trotta partait sur les traces du cinéaste qui l’avait tant marquée, tout en révélant certaines zones d’ombre de sa vie personnelle, la Suédoise Jane Magnusson enfonce le clou sur ce dernier point, en prétextant expliquer pourquoi 1957 fut une année charnière dans la vie du réalisateur. Ce sont en effet douze mois qui marquent une effervescence créatrice exceptionnelle : sortie commerciale et triomphale du Septième sceau, tourné l’été 1956 ; écriture et tournage des Fraises sauvages, son deuxième film culte qui lui vaudra une renommée internationale ; mise en scène de quatre pièces de théâtre, dont un monumental et historique Peer Gynt, réalisation d’un téléfilm de prestige puis d’une émission radiophonique. La même année, il doit gérer une vie amoureuse complexe, partagée entre son épouse du moment et ses nombreuses maîtresses, dont l’actrice Bibi Andersson. Et pour couronner le tout, un ulcère à l’estomac lui occasionnant d’intenses douleurs le contraint à plusieurs séjours hospitaliers. Partant sans doute du postulat que Bergman l’artiste fait aujourd’hui l’objet d’un consensus solide, Jane Magnusson utilise son énergie à montrer que l’homme était un véritable chieur et manipulateur, tout autant qu’un menteur notoire, un individualiste invétéré et un mégalomane autoritaire, méprisant ou ignorant tous les membres de son entourage dont sa propre famille. Ainsi Bergman a-t-il longtemps caché qu’il avait été enrôlé dans les jeunesses nazies à l’âge de dix-huit ans tout en adhérant aux idées de Hitler jusqu’en 1946. Le cinéaste a dénoncé les violences que lui faisait subir, à l’enfance, son rigide père pasteur, personnalisé par Jan Malmsjö dans Fanny et Alexandre ; dans la réalité, c’était son grand frère, haï par son père, qui subissait ces mauvais traitements.

Bergman était un goujat avec ses nombreuses conquêtes, qu’il arrivait de violenter, ce qu’il exprimera implicitement dans de nombreux drames dont De la vie des marionnettes. Et lorsqu’il revint en Suède dans les années 80 suite à un exil dû à ses ennuis fiscaux, Bergman s'est pris pour une divinité intouchable, se drapant d’une condescendance accentuée par le comportement complaisant des milieux artistiques à son égard. Le problème du documentaire de Jane Magnusson n’est pas de dévoiler ces aspects de la personnalité de Bergman, mais d’en faire le cœur de son film, sans adopter le moindre point de vue sur l’univers de l’un des créateurs les plus passionnants de l’histoire du cinéma. Car Une année dans une vie se contente de multiplier les extraits de films et les témoignages (dont ceux des comédiennes Liv Ullmann et Gunnel Lindblom) d’une consternante banalité, dignes de confidences à Paris Match. Et comme pour s’excuser d’avoir choisi cette approche, la réalisatrice semble se dédouaner dans les dernières minutes, multipliant les interventions d’artistes (de Barbra Streisand à Lars von Trier) qui abusent de superlatifs pour saluer la mémoire de l’un des plus grands génies de son temps. On se consolera avec la présence d’extraits de films rares des années 40 et 50 (dont Musique dans les ténèbres), une qualité qui manquait au métrage de von Trotta. Mais insistons sur ce fait :  les errements politiques de jeunesse, la vie personnelle et les traits de caractère des grands réalisateurs ne nous intéressent guère, des sympathies fascistes de Roberto Rossellini avant le néoréalisme aux affaires judiciaires de Roman Polanski, en passant par la perversion narcissique de Bergman. Seuls nous captivent leurs œuvres et les études filmiques les concernant, sans hagiographie ni ragots de presse de tabloïd.

Gérard Crespo



 

 


1h56 - Suède - Documentaire - Production : B-REEL FILM - Distributeur : CARLOTTA FILMS.

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