Le Livre d'image
de Jean-Luc Godard
Sélection officielle
En compétition
Palme d'or spéciale







Boîte de Pandore

Un an après avoir fait l’objet du truculent biopic Le Redoutable de Michel Hazanavicius, l’ombre de l’auteur d’À bout de souffle avait ressurgi avec la très belle affiche officielle de Cannes 2018 dévoilant Anna Karina et Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le Fou. On aurait pu penser que cela était suffisant pour rendre hommage au réalisateur qui annonce la mort du cinéma depuis un demi-siècle. Mais les organisateurs du Festival ont voulu aller plus loin. Une copie restaurée de l’un de ses films à Cannes Classics comme pour Bergman ? Que nenni : ce fut l’annonce de la sélection en compétition du dernier essai cinématographique du maître. « Rien que le silence, rien qu'un chant révolutionnaire, une histoire en cinq chapitres, comme les cinq doigts de la main », annoncera le synopsis. Le Livre d’image appartient en fait à la veine des Histoires(s) du cinéma de Godard : une œuvre basée essentiellement sur le montage avec une succession d’images d’archives, d’extraits de films, de documents divers, avec un bouillonnement visuel et sonore qui dénote un véritable brio technique. On louera une beauté indéniable, loin de l’arnaque esthétique d’Adieu au langage, son précédent film. C’est peut-être même ce que Godard a fait de mieux depuis vingt-cinq ans. On ne sera pas surpris de voir de brèves scènes d’œuvres de grands maîtres : Joan Crawford dans Johnny Guitare de Nicholas Ray ou Danielle Darrieux dans Le Plaisir de Max Ophüls. Plus surprenante de la part de Godard est la sélection de longs métrages d’un répertoire peu loué par la génération de la Nouvelle Vague, comme Les Visiteurs du soir de Marcel Carné, qui n’est au demeurant pas le meilleur film de son réalisateur : l’ex-gourou des Cahiers manifesterait-il enfin un esprit d’ouverture ? Les extraits musicaux sont sublimes (mais toujours interrompus au bout de quelques secondes) et on imagine très bien le film tourner en boucle au Centre Beaubourg ou au Museum of Modern Art de New York.

Car quand bien des jeunes cinéastes peinent à trouver un financement et une distribution en salles, Godard, par son seul nom, trouve la confiance des producteurs et exploitants. Si son dernier opus est donc globalement séduisant sur le plan formel (ou constitue plutôt le brouillon voire la longue bande-annonce d’un film génial qu’il a la flemme de tourner), on est toujours agacés par l’autosatisfaction du gourou, la stérilité de sa démarche, ses aphorismes abscons et la vacuité ou l’obscurité du texte en voix off. Qu’il parle de Hiroshima, de la Shoah ou du monde arabe, Godard dit à peu près tout et n’importe quoi, allant jusqu’à asséner qu’il sera « toujours du côté des bombes ». On peut aussi s’interroger sur la nécessité de sélectionner en compétition officielle un tel film (une séance spéciale aurait suffi), d’autant plus que Godard ne se déplace jamais à Cannes. Il s’est toutefois livré à un stupéfiant numéro d’attrape-geek à la conférence de presse en faisant installer un dispositif inédit, « les intervieweurs défilant devant un smartphone comme les hommes-singes de Kubrick face au monolithe, espérant des bribes de réponse d’une conscience supérieure » (Frédéric Foubert). Quant à la « Palme d’or spéciale » décernée par le jury de Cate Blanchett, était-elle vraiment indispensable, quand L’Été de Kirill Serebrennikov, Burning de Lee Chang-dang, ou En guerre de Stéphane Brizé, bien supérieurs au pensum godardien, ont été oubliés au palmarès ? On restera donc partagés devant ce film que l'on considérera comme une curiosité pour cinéphiles, tout autant qu'un non-événement.

Gérard Crespo



 

 


1h30 - France - Documentaire - Distributeur : WILD BUNCH.

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