Les Oiseaux de passage
Parajos de verano
de Ciro Guerra, Cristina Gallego
Quinzaine des Réalisateurs
Ouverture







Aux origines des cartels

Dans les années 1970, en Colombie, une famille d'indigènes Wayuu se retrouve au cœur de la vente florissante de marijuana à la jeunesse américaine. Quand l'honneur des familles tente de résister à l'avidité des hommes, la guerre des clans devient inévitable et met en péril leurs vies, leur culture et leurs traditions ancestrales. C'est la naissance des cartels de la drogue… Les oiseaux du titre sont à la fois les messagers de mauvais augure qui se font abattre comme des lapins, les gringos venus chasser toute velléité de communisme tout en étant attirés par l’odeur de la marijuana, ou ces bestioles dont la présence est aussi incongrue que celle de l’autruche dans la dernière scène du Fantôme de la liberté de Luis Buñuel. C’est peu dire que le film de Ciro Guerra et Cristina Gallego est une œuvre à multiples entrées aussi foisonnante que L’Étreinte du serpent, le métrage qui les avait révélés mais dont seul Guerra avait assuré la mise en scène. L’ouverture du récit, qui donne à voir une cérémonie prénuptiale, offre le même cadre ethnologique en filmant des rituels ancestraux qui ont perduré, l’aridité du désert situé au nord de la Colombie succédant ici à la forêt tant mystérieuse que d’une pureté originelle au cœur du précédent opus. Pourtant, cette tonalité documentaire est bien en trompe-l’œil, les acteurs non professionnels n’étant nullement membres de la culture Wayuu et les rôles principaux étant tenus par des comédiens de théâtre dont la stupéfiante Carmina Martinez en matriarche déterminée et sèche. Et Les Oiseaux de passage dévie vite vers le film de genre, une rivalité entre gangs menant la narration sur la piste du polar.

Un peu comme si nous passions de la démarche de Jean Rouch à l’univers des grands thrillers choraux que furent Traffic de Steven Soderbergh ou Sicario de Denis Villeneuve. Passionnant par son questionnement tant sociologique (comment une société primitive arrive-t-elle à renier ses propres valeurs ?) qu’économique (en quoi un marché de la drogue concurrentiel ne peut-il finir que dans un bain de sang ?), Les Oiseaux de passage est aussi et surtout une fable poétique et onirique qui transcende son inspiration historique (le scénario est basé sur des événements réels) et n’est pas sans faire écho à l’inspiration vertigineuse d’un Gabriel García Márquez. Ciro Guerra a ainsi déclaré : « D’une certaine façon, les genres sont devenus les archétypes mythiques de notre temps. Depuis la nuit des temps, l’être humain a essayé de se servir du mythe pour donner un ordre et un sens à une existence chaotique et dont le sens nous échappe. C’est la fonction des genres aujourd’hui : ils prédéterminent notre compréhension du monde et nous annoncent dans quel territoire une histoire va se déplier. À ce propos, je me suis toujours identifié aux conteurs des civilisations premières ». Et plusieurs séquences sont déjà d’anthologie, d’une humiliation scatologique qui ferait rougir le Pasolini de Salò à un rituel d’exhumation que n’auraient osé ni Bava ni Argento, en passant par l’exécution de deux intermédiaires d’une violence toute suggestive, les réalisateurs ayant l’élégance de ne pas verser dans la surenchère. Du grand art !

Gérard Crespo



 

 


2h05 - Colombie - Scénario : Ciro GUERRA, Maria CAMILA ARIAS, Jacques TOULEMONDE VIDAL - Interprétation : Carmina MARTINEZ, Jhon NARVAEZ, Natalia REYES.

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