Shéhérazade
de Jean-Bernard Marlin
Semaine de la Critique
Séance spéciale









« Moi, je respecte les filles, je respecte pas les putes »

Diplômé de l’École Louis Lumière et de l’Atelier Scénario de la Fémis, Jean-Bernard Marlin était l’auteur de courts-métrages dont La Fugue (2003), Ours d’or à la Berlinale et nommé aux César. Originaire de Marseille, le réalisateur a tenu à revenir dans sa ville natale pour signer une fiction au carrefour du réalisme social et du thriller. Le début du métrage peut agacer, tant le « film de banlieue » a été à l’origine de produits de festival formatés, et les déboires du jeune Zachary semblent faire écho aux turpitudes de maints personnages de jeunes délinquants vus sur nos écrans. Âgé de dix-sept ans, le jeune homme sort d’un séjour en centre pénitentiaire pour mineurs. Rejeté par sa mère qui n’a pas les moyens de l’héberger, il se trouve dans l’obligation d’intégrer un foyer dans lequel son éducatrice le conduit. Mais la tentation de liberté est plus forte… Assisterait-on à une œuvre qui surfe sur la vague de films ayant marqué le cinéma français évoquant le sort de jeunes délinquants, de La Tête haute d’Emmanuelle Bercot à Divines de Houda Benyamina ? Certes, on est en terrain connu, jusqu’au langage de « djeuns » plus ou moins compréhensible, et qui nous avait passablement énervés dans À genoux les gars d’Antoine Desrosières. Et pourtant, Shéhérazade réussit le pari d’étonner et d’éviter tous les poncifs du genre, parvenant même à surpasser aisément les films cités. Le premier mérite du cinéaste est d’abord d’avoir eu l’idée d’un casting étonnant de jeunes non professionnels dont certains ont eu un parcours judiciaire chargé, à commencer par Dylan Robert, interprète de Zachary, magnifié par une direction d’acteurs qui a accordé une grande place aux ateliers de paroles.

Le rôle joué par ces jeunes n’est donc pas une composition, même si une distance et un scénario très écrit éloignent le récit du ton purement documentaire ou néoréaliste. À cet égard, même la séquence du procès, qui peut paraître aussi authentique que dans un film de Raymond Depardon, frappe par la rigueur de son dispositif, voire la théâtralité de son style. Par ailleurs, le réalisateur réussit à faire dévier son métrage sur un double sentier : celui du film sentimental d’abord, avec l’amour qu’éprouvera Zachary pour une jeune prostituée de seize ans, Shéhérazade ; et celui du thriller urbain, une rivalité entre gangs et une histoire de vengeance n’étant pas sans rappeler la beauté d’un certain cinéma indépendant américain marqué par des jalons de la trempe de Mean Streets de Martin Scorsese. Ce mélange de genres et cette proposition de récit à multiples entrées, loin de cantonner le film dans le périmètre de l’exercice de style, lui donne un réel pouvoir de fascination. « À côté de l’aspect documentaire du film, je voulais insuffler une dimension romanesque à cette histoire d’amour. Je souhaitais que Zachary et Shéhérazade "se crament" pour une histoire de cœur, qu’ils touchent au sublime. J’ai beaucoup pensé à Pasolini et à Elia Kazan au moment de l’écriture du scénario. Je voulais une éducation sentimentale contemporaine, une histoire d’amour sur la brèche, au jour le jour, comme celles que je connais », a précisé le réalisateur. Le punch de son premier long métrage révèle un auteur inspiré dont on attend avec intérêt le second film.

Gérard Crespo



 

 


1h56 - France - Scénario : Jean-Bernard MARLIN, Catherine PAILLÉ - Interprétation : Dylan ROBERT, Kenza FORTAS, Idir AZOUGLI, Liza AMEDJOUT, Sofia BENT.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS