Dans la terrible jungle
de Caroline Capelle, Ombline Ley
Acid








Un monde inconnu

Sur le grand domaine arboré de L’Institut médico-éducatif la Pépinière, dans le Nord-Pas-de-Calais, une dizaine d’adolescents, insoumis, francs et spontanés se prêtent au jeu de la mise en scène et du cinéma. Terrain d’expérimentations musicales, poétiques, amoureuses et philosophiques, le centre prend alors un caractère d’exutoire, devenant lieu de confidences et également révélateur d’un tiraillement perpétuel entre deux mondes : l’extra-ordinaire et la quête de la normalité… Pour leur premier long métrage, Caroline Capelle et Ombline Ley, diplômées des Arts Décoratifs de Paris, n’ont pas choisi la facilité et s’aventuraient sur un sentier peu balisé. Il faut dire que les films ayant abordé le thème du handicap mental ont été très inégaux. Si les cinéphiles ont en mémoire le magistral Miracle en Alabama d’Arthur Penn ou le poignant documentaire Elle s’appelle Sabine de Sandrine Bonnaire, que dire des redoutables Rain Man de Barry Levinson et Le Huitième jour de Jaco Van Dormael ? Mais comme le soulignent les cinéastes Philippe Fernandez et Jean-Louis Gonnet dans la plaquette de présentation du film, Dans la terrible jungle est moins une œuvre sur des adolescents handicapés qu’un film tourné avec eux. Les deux auteures ont passé un certain temps en observation dans cet institut, Caroline Capelle souhaitant aborder le thème de l’adolescence et Ombline Ley celui de territoires fermés et autarciques. Face à la curiosité de ces jeunes, elles ont imaginé des micro-fictions à partir de leurs propres personnalités et de leurs rêves.

Valentin et son questionnement amoureux, Alexis et ses déguisements, Ophélie en apprentie musicienne et les autres membres du centre sont ainsi devenus leurs propres interprètes, avec ce mélange de décalage fictionnel et de réalisme qui est la marque des nombreux « documenteurs ». Et même si le métrage regorge d’informations sur la pédagogie déployée à la Pépinière, le film ne saurait être perçu comme un simple objet didactique : on n’y trouvera d’ailleurs ni voix off (même si le facétieux Médéric est parfois narrateur), ni carton explicatif, ni interview frontale des jeunes ou animateurs. Les réalisatrices sont ainsi plus proches de la démarche épurée d’un Frederick Wiseman ou de la fantaisie artistique d’Olivier Babinet dans Swagger que du reportage démonstratif, échappant au côté édifiant de certains documentaires (Sur le chemin de l’école). « Les mises en scène, ou plutôt les glissements progressifs du réel, s’installent dans la trame du film à mesure que nous découvrions les personnages et leurs mondes parallèles », ont précisé les réalisatrices, qui se tiennent toujours à bonne distance avec leur caméra, comme l’atteste la bouleversante séquence dans laquelle le jeune Gaël est pris (ou joue le fait d’être pris) d’une crise d’angoisse dans un cours de jardinage. Le pari de Caroline Capelle et Ombline Ley est donc amplement gagné et Dans la terrible jungle est un petit bijou de cinéma et d’humanité.

Gérard Crespo



 

 


1h21 - France - Documentaire - Scénario : Caroline CAPELLE, Ombline LEY - Production : MACALUBE FILMS - Distributeur : LES ACACIAS.

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