Batalla en el cielo
Battle in Heaven

Carlos Reygadas
Sélection officielle
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« Ceci n’est pas une pipe »

Marcos travaille à Mexico comme chauffeur d’un général. Sa femme et lui ont commis une lourde faute qui nous sera narrée très rapidement : l’enfant qu’ils ont kidnappé, le fils de connaissances pas beaucoup plus argentées qu’eux, meurt accidentellement.
Hanté par le péché, Marcos va se confier à la fille du général qu’il transporte (et qui le transporte), “ange sexuée” qui se prostitue par plaisir à la manière d’un bénévole d’une association caritative. Il faut bien sûr parler de ce qui pourrait bien constituer un standard de la sélection cannoise et qui a, cette année encore, fait couler beaucoup d’encre avant même la projection officielle de Bataille dans le Ciel.
Mais si c’est bien une fellation frontale qui ouvre le premier plan du film, il faut souligner qu’avant le mouvement hésitant de la caméra autour du sexe de Marcos, c’est le visage de ce dernier qui est montré en très gros plan, avec une plongée abyssale dans son regard.
Le choc du spectateur, initialement et superficiellement provoqué par l’esthétique du plan, se nourrira rapidement davantage du clivage social de la relation de Marcos avec Ana, alors que la riche matière du film gagnera en consistance. La situation apparemment idéale de proximité et d’intimité que propose cette première scène se plombe d’une absence totale de communication.

Évitant d’ailleurs toute pornographie qui aurait fonction d’exciter le spectateur, le réalisateur de Japòn filmera avec un érotisme surprenant les ébats des corps gras et suants de Marcos avec sa femme. Dans son parcours à l’allure de mystique ascendance, Marcos semble transformer ses tentations de la chair en actes de foi dans un pays où la religion relève davantage du rituel que du spirituel… c’est en tous cas ce que semble nous montrer Carlos Reygadas.
Les élans d’un lyrisme noir côtoient l’élégance de mouvements de caméra qui ouvrent l’espace et le temps. La mise en scène, poumon du film, inspire, retient son souffle, puis expire avec frissons et soubresauts. Les contrastes à la fois formels et thématiques sont à l’image de cette scène où Marcos s’arrête dans une station service glauque et sinistre, à la périphérie d’une capitale de 20 millions d’habitants. Dans cet endroit horrible, son existence sombre et ordinaire est sublimée par la musique sacrée et transcendante de Bach qu’il écoute à tue-tête. C’est toute la dimension métaphysique du film qui s’exprime-là.

Jean Gouny


1h38 - Mexique - Scénario, dialogues : Carlos Reygadas - Interprétation : Marcos Hernandez, Anapola Mushkadiz, Berta Ruiz, David Bornstein.

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