La Moustache
Emmanuel Carrère
Quinzaine des réalisateurs
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« Mais voyons, tu n’as jamais eu de moustache »

Vingt ans après avoir écrit La Moustache, Emmanuelle Carrère l’adapte pour le cinéma, libérant la fin du récit de son issue désespérée. Les gens changent, nous a seriné cette édition du Festival, les auteurs aussi.
Donc, un jour, par jeu, Marc hésite un peu, puis décide de se raser la moustache qu’il porte depuis longtemps, ne serait-ce pour voir la réaction de sa femme, Agnès… qui ne remarque rien, ou fait semblant de ne rien remarquer. Re-belote lors de leur soirée chez des amis de longue date, Nadia et Serge. Disons tout de suite les effets hautement comiques des réactions successives de Marc face à la dénégation d’une de ses plus intimes certitudes.
Son associé s'en mêlant, la blague dure cependant suffisamment longtemps pour que Marc ­ Vincent Lindon, mec d’apparence solide, les deux pieds bien ancrés dans la réalité ­ commence à se fragiliser, à douter de lui (rassemblant les preuves de son ex capillarité), d’Agnès et de tous les autres.

Ce n’est qu’en s’enfuyant à Hong Kong et en se retrouvant seul dans un monde indifférent où tout le monde se fout éperdument qu’il ait eu une moustache ou non, qu’il arrivera à recouvrer un certain soulagement, bercé par l’oscillation de ses allers-retours en ferry qui matérialise encore les séquelles de ses interrogations, au rythme d’une musique lyrique tout autant qu’obsédante à la limite de l’hypnose.
Emmanuel Carrère met ici brillamment en scène l’histoire d’un couple ­ voire de tous les couples dans la vie desquels, un jour, quelque chose casse ­ qui s’est laissé prendre au piège de la vie à deux et dont l’un, car tout n’est vu que du côté du protagoniste, subit les dommages collatéraux.
Si Marc subit une épreuve et semble s’y perdre, c’est peut-être pour mieux se retrouver. Dans ce cas, au cours de ce festival, il était coutume de jeter son téléphone portable. Geste dicté par une chose ou une autre selon le film, mais à coup sûr libérateur.
Peut-être Marc retrouvera-t-il Agnès, mais la seule chose de vraiment sûre est qu’il sera désormais porteur d’un secret qu’il ne pourra jamais partager, quelque chose qui n’appartient qu’à lui et le laissera pour toujours sur une sage défensive.

Marie-Jo Astic


1h26 - France - Scénario : Jérôme Beaujour, Emmanuel Carrère - Photo : Patrick Blossier - Décors : Françoise Dupertuis - Son : Laurent Poirier, Hervé Guyader, Emmanuel Croset - Musique : Extraits du Concerto pour violon et orchestre de Philip Glass - Montage : Camille Cotte - Interprétation : Hippolyte Girardot, Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Vincent Lindon.

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