Sangre
Amat Escalante
Sélection officielle
Un Certain Regard
Prix de la Fipresci

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Ce premier film radical et original d’un jeune réalisateur de vingt-six ans est l’une des bonnes surprises du festival.
Ancien assistant de Carlos Reygadas, producteur du film et dont on retrouve un peu la veine, Sangre décrit l’existence ennuyeuse et sordide d’un couple de quinquagénaires de Mexico. Lui (Diego) est portier au Tribunal, elle (Blanca) est serveuse dans un petit restaurant, et le rituel de leur quotidien est composé de douloureux réveils matinaux, de tâches aliénantes, de visionnages de “telenovelas”, d’accouplements crus sur la table de la salle à manger et de préparation (filmée en temps réel !) de plats de tacos.
Précisons que les deux acteurs, probablement non professionnels, ne brillent ni par le charisme, ni par la sensualité (Monsieur est petit, chauve et atteint de strabisme, Madame porte un embonpoint manifeste) et que leurs personnages se complaisent dans une médiocrité et un autisme ambiants.
Cela a suffi à vider une bonne partie de la salle pendant la première demi-heure du film, l’œuvre bousculant le confort visuel et narratif d’une frange de spectateurs, à l’instar de l’ambitieux Batalla en el cielo.
Pourtant, loin de chercher la provocation, Amat Escalante ne manifeste aucun mépris pour ses personnages. Sangre capte indiscutablement notre attention par de petits détails liés à cette tranche de vie, et la drôlerie de certaines séquences provient tant de l’absurde des situations (l’infantilisation de l’homme par son épouse) que du burlesque de plusieurs passages, dignes de Harry Langdon ou W.C. Fields.

La seconde partie prend ensuite une autre dimension, et l’héritage de Luis Buñuel n’est pas loin : découvrant le suicide de sa fille dans une chambre d’hôtel, notre anti-héros n’ose pas appeler de l’aide, la jette littéralement à la poubelle, finit par être pris de remords et tente de la retrouver dans la décharge municipale.
Une séquence impressionnante restitue ici toute l’atmosphère du film : Diego traverse un quartier populaire de la ville, le corps de sa fille morte empaqueté sur ses épaules mais personne ne se doute de rien et d’ailleurs ne le regarde : triste métaphore de l’individualisme et de la désagrégation du lien social dans les pays en développement.
Amat Escalante semble aussi déplorer « le désenchantement et la frustration d’une population désormais incapable de prendre en charge son propre avenir. » Un message qui peut paraître bien pessimiste pour une première œuvre de fiction mais révèle un auteur à suivre dans la cinématographie mexicaine.

Gérard Crespo


1h30 - Mexique - Scénario, dialogues, montage : Amat Escalante - Photo : Alex Fenton - Décors : Daniela Schneider - Son : Raul Locatelli - Interprétation : Cirilo Schneider, Laura Saldaña, Claudia Orozco.

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