De l’autre côté
The Edge of Heaven
Auf der anderen Seite

de Fatih Akin
Sélection officielle
Prix du scénario

palme


Avec De l'autre côté, Fatih Akin, cinéaste allemand d'origine turque, approfondit la thématique de l'aller-retour entre deux cultures développée dans l'excellent Head-On. Souhaitant réaliser une trilogie avec des films traitant respectivement de l'amour, de la mort et du mal, il traite ici le deuxième volet, en insistant sur les relations de filiation dans la parenté. En toile de fond, les problèmes politiques de la Turquie sont évoqués, sans que l'on puisse parler pour autant d'œuvre engagée.
Ce n'est pas vraiment un film choral, comme cela a été un peu vite dit et écrit sur la Croisette. Le scénario, riche et subtil, est divisé en trois volets principaux, et suit la destinée de six personnages. Deux morts servent de catalyseur au récit et aux motivations des protagonistes. Yeter, prostituée turque installée en Allemagne, est tuée accidentellement par un vieux veuf qui comptait l'épouser. Lotte, étudiante allemande, trouve la mort dans un quartier pauvre d'Istanbul en tentant d'aider Ayten, son amie turque, expulsée de Hambourg et emprisonnée pour terrorisme. Ayten est la fille de Yeter et sera également recherchée par Nejat, le fils du veuf, puis par la mère de Lotte (Hanna Schygulla, rayonnante). Les surprises du hasard ne sont certes pas novatrices au cinéma, mais on est ici plus proche de l'influence de Kieslowski que de la virtuosité lelouchienne, et Akin trouve le ton juste et personnel qui en fait un cinéaste singulier. La même séquence peut être montrée deux fois : l'entrée de Nejat dans une station-service apparaît au début et au dénouement, mais nous ne la ressentons pas de la même manière, Akin explorant ici la veine narrative proposée par Tarantino (Pulp Fiction, Jackie Brown) ou Lucas Belvaux (la trilogie Un couple épatant).


Le même plan furtif d'un amphithéâtre avec en contre-plongée une étudiante assoupie sur la table est également présent à deux reprises. Anodin à la première vision, il prend toute sa signification après 45 minutes de projection. C'est que De l'autre côté, outre le fait d'être très bien écrit, est aussi un modèle d'intelligence de mise en scène.
Les rapports entre la Turquie et l'Allemagne (et au sens large l'Union européenne) sont traités avec nuance et sensibilité. Si les prisons turques semblent quelque peu aseptisées depuis Midnight Express, la description de la bureaucratie et du nationalisme font planer l'ombre de Kafka, à l'instar de la démarche de Costa-Gavras dans L'Aveu.
Film d'émotions, montrant le cheminement intérieur sur la voie du salut et du pardon, cette œuvre puissante et poignante est d'une sobriété dans la réalisation qui n'a d'égale que l'humanisme du discours. « Avec De l'autre côté, j'ai le sentiment d'avoir atteint une nouvelle dimension, mais qu'il manque encore quelque chose qui sera au cœur du troisième film – un film qui parlera du mal », a déclaré l'auteur. Il ne fait pas de doute que ce projet cinématographique est l'un des plus attendus, tant cette dernière réalisation s'avère être l'un des plus beaux moments du festival.

Gérard Crespo


2h02 - Turque - Scénario et dialogues : Fathi Akin - Photo : Rainer Klausmann - Décors : Tamo Kunz, Sirma Bradley - Musique : Shantel - Montage : Andrew Bird - Son : Kai Lüde - Interprétation : Tuncel Kurtiz, Nursel Köse, Patrycia Ziolkowska, Hanna Shygulla, Nurgül Yesilcay, Baki Davrak.

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