L'Imaginarium du Docteur Parnassus
The Imaginarium of Doctor Parnassus
de Terry Gilliam
Sélection officielle
Hors compétition

palme

Sortie en salle : 11 novembre 2009





De l'autre côté du miroir

Depuis Las Vegas Parano (1998), Terry Gilliam n'avait plus remis les pieds sur la Croisette. Il faut dire que la décennie qui suivit lui a été peu prolifique et que les deux œuvres qui ont succédé, Les Frères Grimm et Tideland, dénotaient une nette régression artistique. Terry Gilliam avait-il perdu son inspiration ou était-il victime de la malchance, comme le montrait le documentaire Lost in La Mancha ?

Ce nouveau film n'apportera pas de véritable réponse. En proposant un scénario original, l'auteur semble assumer d'emblée le projet. Traversant le pays avec une roulotte, Parnassus (Christopher Plummer) a le pouvoir de projeter les spectateurs dans leur propre imaginaire et après avoir gagné un pari contre le Diable (Tom Waits, cartoonesque), il acquiert le don d'immortalité. Par amour pour une femme, il demande d'échanger son éternité contre sa jeunesse. Mais toute faveur a un prix... Le synopsis, d'une richesse créative, emprunte certes son matériau aux mythes de Faust, Dorian Gray ou Orphée, que Gilliam se réapproprie, et l'on sait que pour lui, le conte féérique est source de débordement narratif. Les histoires sont au centre de l'univers, semble nous dire l'auteur, et tant qu'il y aura des conteurs, la planète résistera aux tourmentes... Une valse de personnages des plus délirants traverse alors le récit, à commencer par Tony (le regretté Heath Ledger), également incarné, au gré d'un MacGuffin que nous ne dévoilerons pas, par Johnny Depp, Jude Law ou Colin Farrell.

Des décors prodigieux, des mouvements de caméra vertigineux et un sens indéniable du rythme permettent de retrouver, dans certaines séquences, la folie naguère déployée dans Brazil ou Les Aventures du Baron de Munchausen, ses deux premiers (et meilleurs) films.

D'où vient alors que la magie n'opère pas totalement, et que l'on a l'impression d'assister à un spectacle balisé et faussement déjanté ? Sans doute le compromis commercial de Terry Gilliam (collaborer avec un grand studio tout en préservant son indépendance) aboutit-il à un projet hybride, qui ne séduira vraiment ni les fans du Gilliam des grands jours, ni le public populaire des films d'aventures, ni la tranche d'âge enfants/adolescents que le film pouvait cibler. Quant aux qualités plastiques de l'œuvre, pourtant réelles, elles ne sauraient rivaliser avec avec la poésie onirique des Contrebandiers de Moonfleet ou des Tim Burton, cinéaste qui semble avoir fauché à Gilliam son sceptre de visionnaire du 7e art.

Reste que le divertissement reste d'une bonne tenue, et que le parallèle entre le personnage incarné par Heath Ledger et la destinée tragique de l'acteur, décédé avant la fin du tournage, accentue la volonté de mise en abyme inhérente au scénario. Si cette disparition n'a pas mis en péril le film, contrairement à la maladie de Jean Rochefort sur le tournage de L'Homme qui tua Don Quichotte, elle suscite à postériori un véritable trouble lors de la projection de cet Imaginarium dont un carton final précise qu'il a été réalisé par ses amis.

Gérard Crespo


L'hymne à la joie

De ville en ville, le Docteur Parnassus et sa troupe voyagent dans leur roulotte d'un autre temps. Cet homme sans âge possède le pouvoir de projeter les gens dans leur propre imaginaire, mais ce fascinant voyage se conclut toujours par un choix, qui peut mener au meilleur comme au pire...

Il paraît quasiment nécessaire d'apprécier les travaux filmiques de Terry Gilliam avant de traverser le miroir de sa nouvelle expérience, mélange de magie et de film fantastique lumineux duquel émanent les morales propres au cinéaste. Sans renier son univers complètement barré où se mêlent distorsion du temps, étranges monstres et décors hallucinatoires, Terry Gilliam fait de ce nouveau film peut-être son œuvre la plus cohérente, paradoxalement. Malgré les nombreux problèmes encourus lors du tournage, le récit fabriqué (car il s'agit d'un film plus fabriqué qu'il n'est réalisé, au bon sens du terme), pétri des mains de l'artiste, semble prendre une forme beaucoup plus accessible que précédemment.

Œuvre sculptée, terriblement tendre dans ses contours imparfaits, mais aussi pleine de cynisme, L'Imaginarium du Dr. Parnasussouvre les portes de différents mondes, tous beaux à croquer ; on a presque l'impression de voir dans certains décors psychédéliques des zones neurologiques du Gilliam en question, comme s'il appliquait à l'image tous les délires qui peuplent son inconscient, quitte à repousser les limites du l'impossible et de l'irréalisable. Le résultat est affolant d'inventivité, étrangement rythmé et monté car le décès de Heath Ledger en plein tournage imposa une refonte totale du récit et de bizarres bouées de sauvetage à travers les apparitions d'acteurs caméléons (Jude Law, Colin Farrell, Johnny Depp au-delà du miroir).

Cette histoire foutraque est située entre Faust et Lewis Carroll, Gilliam faisant appel à un mélange des contes et des mythes pour créer son propre univers, parfois proche du Seigneur des anneaux autant qu'il peut appartenir à un langage inspiré par Tim Burton. Pot-pourri étonnamment personnel au final, que le cinéaste alimente d'autocitations. Mais rien de narcissique non plus dans cet exercice merveilleux, ode aux infinies libertés du cinéma. Tout ce que cet Imaginarium pourrait malencontreusement être, il ne l'est pas, et c'est bien là que prend source l'effet Gilliam. Tout s'assemble comme les pièces d'un manège en bois, chorégraphie méticuleuse de pantins et de poupées pour un tour de magie aux accents fatalistes. La fin culmine jusqu'à l'émotion, destination amère d'un voyage à travers le temps et l'imaginaire. Beau moment de cinéma, L'Imaginarium du Dr. Parnassus est la renaissance d'un cinéaste majeur dans sa facilité d'empreinte et sa verve poétique, ouvert à une infinité d'équations mathématiques qui donnent avec toute la spontanéité qu'on lui connaît ce trajet enchanteur, kitsch et boisé, légende à lui seul dans lequel règnent la joie des êtres humains et leur pouvoir commun.

Jean-Baptiste Doulcet


2h02 - Canada, France - Scénario : Terry GILLIAM, Charles McKEOWN - Interprétation : Heath LEDGER, Johnny DEPP, Jude LAW, Colin FARRELL, Christopher PLUMMER.

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