Amour
de Michael Haneke
Sélection officielle
En compétition
Palme d'or


Sortie en salle : 24 octobre 2012





Votre inquiétude ne me sert à rien !

Le plus grand. Il se pourrait bien que cette seconde palme confère à Michael Haneke ce statut, en soi assez peu significatif, mais qui salue en tout cas une filmographie exemplaire d’hétérogénéité et de maîtrise d’un art qu’il consomme et consume depuis trente ans. En voici vingt que Haneke provoque l’étonnement et hante le Festival de Cannes depuis Le Septième continent révélé par la Quinzaine des réalisateurs, ses Funny games qui firent scandale dès 1997 et une succession de prix avec Caché, La Pianiste et bien sûr Le Ruban blanc. Cette nouvelle palme d’or, par définition exclusive de tout autre prix, il se devait de toute évidence de la partager avec ses deux acteurs, Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant, qui placèrent d’entrée de jeu très très haut la barre pour les candidats aux prix d’interprétation. La musique de leurs voix si particulières, si uniques n’en finit plus de titiller l’esprit.

Des pompiers saccagent une porte, font irruption dans une chambre, équipent leur nez d’un masque. Quelqu’un est mort depuis quelque temps déjà. Puis la violence de la scène d’introduction fait place au flash-back, à la douceur, à la tendresse, à la simplicité du quotidien mais à la jolie qualité de vie d’un couple très âgé. Un plan magnifique les place, spectateurs parmi les spectateurs en face à face de nous, spectateurs du film. Au théâtre des Champs-Élysées – seule échappée hors de l’appartement parisien – ils sont allés applaudir et féliciter Alexandre, un ancien élève d’Anne, professeur de musique retraitée, tout comme son mari Georges. Et puis, au cours du petit déjeuner d’un matin comme les autres, Anne semble tout à coup absente. Puis, naturellement, elle reprend le fil. « Qu’est-ce qui s’est passé au fond ? » demande-t-elle à Georges qu’elle sent déconcerté. Il s’est passé une petite attaque. Puis une seconde viendra, plus invalidante.

Dans la vie paisible d’Anne et de George Laurent, la maladie s’est invitée. Ils étaient deux, les voilà trois avec cette intruse, cette lente mais sûre dégénérescence, dont tous les deux savent qu’elle gagnera forcément la partie. Mais quand Anne, indignée de sa condition, contrainte à une impudeur grandissante, a encore la faculté de crier « Je ne veux plus ! », Georges, dominé par l’amour, héros malgré lui, n’a d’autre alternative que de lui tenir la main jusqu’au bout.

Tandis que la maladie avance, les scènes choc, les images fortes se relayent, s’enchaînant dans un mouvement continu : cette drôle de danse que Georges et Anne exécutent les yeux dans les yeux comme des pantins désarticulés en guise de déplacement d’un point à un autre ; la narration par George d’un « chouette » enterrement auquel il a dû se rendre ; la visite d’Alexandre au cours de laquelle Anne lui demande de se mettre au piano pour jouer Bagatelle en sol mineur de Schubert ; le renvoi d’une aide-soignante infantilisante ; la claque stupéfiante de George à Anne qui refuse de s’alimenter ; ces « mal » répétés à l’envi de toutes les forces qui lui restent ; la dernière histoire racontée d’un souvenir d’enfance, preuve s’il en est besoin que les vieux époux ont su malgré les ans protéger leurs mystères. « Je ne t’ai pas encore tout dit de moi » avait averti avec humour Georges lorsque leur vie était encore « normale ».

Les seules scènes rompant avec cette cohésion, cette harmonie intransigeante du récit, viennent de l’extérieur, à l’aune des visites d’Éva, leur fille, dont les préoccupations matérielles énervent Georges, tout autant que, la forte dégradation de sa mère venue, les vaines solutions qu’elle tente de proposer : « On peut parler d’autre chose ? lui intime George, estimant que sa fille n’est en aucun cas concernée par la question. – Et de quoi ? » rétorque-t-elle.

C’est la grande force du film, de la sobriété de son propos et de la totale maîtrise de Haneke : plus la mort s’avance, plus le huis-clos se resserre, moins il souffre la moindre intrusion, comme pour protéger la parfaite faculté à l’autarcie des cœurs de ces deux superbes amants.

Marie-Jo Astic


 


 

 

 


2h06 - France - Scénario : Michael HANEKE - Interprétation : Isabelle HUPPERT, Jean-Louis TRINTIGNANT, Emmanuelle RIVA, Laurent CAPELLUTO.

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