Le Dernier métro
de François Truffaut
Sélection officielle
Cannes Classics



Sortie en salle : 15 octobre 2014




« C'est une joie et une souffrance »

Le Dernier métro devait former le second volet d'une trilogie consacrée à une mise en abyme, après le « film dans le film » au centre de La Nuit américaine (1973). Une « pièce dans le film » concerne ce scénario écrit avec Suzanne Schiffman et Jean-Claude Grumberg. En pleine Occupation, Marion Steiner (Catherine Deneuve) est la directrice du théâtre Montmartre, depuis la fuite de son mari, le metteur en scène juif allemand Lucas Steiner (Heinz Bennent). Ce dernier a laissé des indications de mise en scène pour une pièce norvégienne que Marion décide de monter, à l'aide de son collaborateur Cottin (Jean Poiret). Pour cela, Marion recrute Bernard Granger (Gérard Depardieu), un jeune acteur qui monte : il sera son partenaire dans le spectacle. Mais Lucas Steiner est en fait caché dans la cave du théâtre, avec la complicité de Marion. Chaque soir, celle-ci lui rend visite et commente avec lui le travail des comédiens...

On retrouve dans Le Dernier métro plusieurs constantes du cinéma de Truffaut, dont le triangle amoureux indécis, qui fait ici écho à celui de Jules et Jim. Le jeu des sentiments et les souffrances intérieures de personnages mal dans leur peau prolongent quant à eux le mal-être d'Antoine Doinel dans Les 400 coups ou d'Adèle H. Contrairement à cette dernière, les protagonistes du Dernier métro ne sont pas déterminés et jusqu'au-boutistes mais au contraire indécis et instables. Marion hésite entre la fidélité envers son mari, qu'elle respecte et protège, et l'amour pour Bernard, envers lequel elle éprouve un mélange d'attirance et de répulsion. Bernard ne sait pas trop s'il doit rester dans sa nouvelle troupe et vivre avec Marion ou s'il doit intégrer la Résistance. Cette valse des sentiments trouve une vertigineuse résonance dans la pièce qui unit les deux futurs amants, les répliques à double sens instaurant à la fois une distance et un apport explicatif de la psychologie des personnages. Cette mise en abyme culmine dans la séquence finale se déroulant dans un hôpital militaire, avant que les protagonistes ne viennent saluer le public. Héritier de Jean Renoir, François Truffaut révèle alors le meilleur de son art. Pourtant, Le Dernier métro est aussi un ouvrage techniquement soigné et en apparence lisse, avec décors (de Jean-Pierre Kohut-Svelko) et costumes d'époque, loin de la doxa de la Nouvelle Vague prônant l'épure et le tournage hors des studios.

Il est plutôt dans la norme d'une Qualité française que l'auteur avait naguère tant décriée. Le cinéaste opte en effet pour un classicisme élégant, qui n'est en rien de l'académisme, et qui prolonge la démarche de modèles hollywoodiens signés Minnelli ou Sirk. Il faut par ailleurs souligner l'autre dimension du film, qui est une reconstitution historique minutieusement documentée. On sait que la période trouble de l'Occupation a été riche sur le plan de la création artistique et théâtrale. Le Dernier métro rend admirablement compte de ce paradoxe, les privations quotidiennes, la censure de Vichy et le danger permanent suscitant un refuge vers l'art, avec un sens des allusions et des symboles. Il en est de même pour la vie privée, Marion et Lucas faisant eux-mêmes actes de résistance de par le secret qui les unit. Les rôles secondaires sont quant à eux inspirés de personnages réels, qui ont eu leur importance dans la vie culturelle française de l'Occupation. C'est notamment le cas du critique collabo Daxiat (Jean-Louis Richard), incarnation de Lucien Rebatet, de Je suis partout. Ou bien encore de Nadine Marsac (Sabine Haudepin), partagée entre le théâtre et un premier rôle dans « Les Anges de la miséricorde ». On aura reconnu le souvenir de Renée Faure, alors pensionnaire de la Comédie-Française, et dirigée à l'écran par Bresson dans Les Anges du péché. Quand à Cottin, dont le réseau de contacts compte autant de résistants que de collabos, il est un peu l'image de Sacha Guitry, un temps épuré à la Libération. Le Dernier métro est aussi l'évocation d'un peuple tant craintif que débrouillard, entre deux couvre-feux ou livraisons de viande de marché noir, dans une vision guère si éloignée de La Traversée de Paris (C. Autant-Lara, 1956).

Directeur d'acteurs hors pair, Truffaut offre également de beaux écrins à des visages plus ou moins familiers du cinéma français, dans la tradition des films de Clouzot ou Carné. Paulette Dubost en habilleuse, Andréa Ferréol en costumière, mais aussi Maurice Risch en régisseur ou Martine Simonet en voleuse sont quelques-uns des comédiens qui illuminent cette réussite bercée par les airs évocateurs de Lucienne Delyle ou Rina Ketty. Triomphe en salles, Le Dernier métro obtint dix César dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure actrice et du meilleur acteur. Le long métrage a été restauré par MK2 et la Cinémathèque française, avec le soutien du Fonds Culturel Franco-Américain.

Gérard Crespo


 

 


1980 - 2h11 - France - Scénario : François TRUFFAUT, Suzanne SCHIFFMAN, Jean-Claude GRUMBERG - Interprétation : Catherine DENEUVE, Gérard DEPARDIEU, Jean POIRET, Heinz BENNENT, Andréa FERRÉOL, Paulette DUBOST, Sabine HAUDEPIN, Jean-Louis RICHARD, Maurice RISCH, Martine SIMONNET, Laszlo SZABO, Richard BOHRINGER.

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