L'Histoire officielle
La Historia oficial
de Luis Puenzo
Sélection officielle
Cannes Classics


Sortie en salle : 5 octobre 2016





« En el pais del que no me acuerdo » (1)

Après la dictature de la Junte (1976-1983), le cinéma argentin s'est livré à un travail de mémoire et de libération de la parole qui a culminé avec Le Sud, sublime drame musical et poétique signé Fernando Solanas. Sous une forme plus classique, L'Histoire officielle aborde plusieurs thèmes liés à ce contexte dont les disparus, la torture, les grands-mères de la place de Mai et, élément central de l'intrigue, les bébés volés aux mères emprisonnées, et adoptés par des familles proches du pouvoir. Le projet du film s'inscrivait dans l'effort de reconstruction historique initié avec le rapport « Jamais plus » de la Commission nationale sur la disparition des personnes. Écrit en collaboration avec la dramaturge Aida Bortnik, le scénario de Luis Puenzo (qui a aussi assuré la réalisation) est avant tout un beau portrait de femme(s). Alicia (Norma Aleandro) est professeure d'histoire dans un lycée de Buenos Aires. Rigide et dogmatique, elle se heurte à l'hostilité de ses élèves qui lui reprochent un manque de distance critique : « Vous ne croyez que ce qui est écrit dans les livres », lui assène l'un deux. « L'Histoire est écrite par les assassins », ose un autre. Car nous sommes en 1983, à la fin de la dictature militaire et un an après la défaite de l'Argentine dans la guerre des Malouines : le pouvoir politique est à bout de souffle, et la contestation publique de plus en plus manifeste. Alicia est mariée à Roberto, un homme d'affaires qui a prospéré grâce à ses liens avec des militaires. Ensemble ils ont adopté une petite fille, Gaby. Un jour, Alicia reçoit la visite d'Ana, sa meilleure amie, de retour au pays après des années d'exil, et qui lui raconte comment des enfants de prisonniers « disparus » avait été enlevés. Alica est bouleversée : et si Gaby était l'une d'entre eux ? Le film de Luis Puenzo met en lumière trois histoires officielles remises en cause. C'est d'abord l'Histoire passée enseignée par Alicia elle-même. S'y ajoute l'Histoire contemporaine revue et corrigée par les médias et l'appareil institutionnel de la dictature. Enfin, la propre histoire d'Alicia, basée sur des faits ignorés et des allégations mensongères, va s'avérer profondément ébranlée.

L'imbrication de ces trois « histoires » fait la force du récit, même si le cinéaste se concentre essentiellement sur le parcours d'Alicia, ses certitudes chancelantes et ses doutes qui vont la mener à une terrible prise de conscience. On pourra reprocher au film de forcer un peu trop sur la corde sentimentale : le revirement d'Alicia est celui d'une bourgeoise bon chic bon genre, qui agit par une suite de réactions affectives, plus que par véritable réflexion, alors que son statut d'intellectuelle aurait dû lui ouvrir les yeux bien avant. Cette impression est confirmée par une mise en scène très lisse, pour ne pas dire académique, qui abuse des gros plans larmoyants et du recours à des notes de piano dont la fonction est émotionnelle. Mais Luis Puenzo ne se laisse pas pour autant écraser par son sujet et réussit à éviter l'emphase : quand Ana décrit à son amie les sévices qu'elle a subis, l'entretien commence par des rires avant de dévier vers la tragédie du souvenir. En fait, les auteurs ont souhaité s'adresser au grand public argentin et international avec le choix d'un film accessible, linéaire, et « frappant fort », suivant la démarche initiée par Costa-Gavras avec Z. Le résultat n'est certes pas un très grand film mais une œuvre digne et sobre. Les actrices sont formidables et contribuent à l'impact émotionnel du récit, à commencer par Norma Aleandro qui obtint pour ce rôle le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes 1985 (ex-æquo avec Cher dans Mask de Peter Bogdanovich). Le film quant à lui rafla plusieurs récompenses internationales dont l'Oscar du meilleur film étranger. L'Histoire officielle a été restauré en 4K à partir du négatif original. Le réétalonnage a été mené par le réalisateur et le chef opérateur Félix Monti. La restauration a été financée par le National Film Institute argentin et effectuée par Cinecolor Lab, sous la supervision de Luis Puenzo.

(1) « Dans le pays dont je ne me souviens pas » : chanson de Maria Elena Walsh fredonnée par la petite fille tout au long du film.

Gérard Crespo

 

 


1965 - 1h50 - Argenrine - Scénario : Aida BORTNIK, Luis PUENZO - Interprétation : Norma ALEANDRO, Hector ALTIERO, Chunchuna VILLAFAÑE, Hugo ARANA. Maria Luisa ROBLEDO, Chela RUIZ. Patricio CONTRERAS.

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