Citizen Kane
de Orson Welles
Sélection officielle
Cannes Classics






« Throw that junk »

Produit par la RKO et Mercury, compagnie théâtrale associée à Welles, Citizen Kane est d'abord l'un des premiers films hollywoodiens où un seul homme a tenu plusieurs fonctions majeures. Producteur, réalisateur, scénariste, acteur principal, Orson Welles a réussi à convaincre les studios de s'impliquer totalement dans le projet. Si l'on excepte le cas de Charles Chaplin, ce fut une situation inédite dans le cinéma américain de l'époque. Jusqu'alors connu à la scène et à la radio, Orson Welles, aidé du scénariste Herman Mankiewicz, a écrit un récit inspiré de la vie du magnat de la presse William Randolph Hearst (1863-1951), l'un des hommes les plus puissants des États-Unis, qui se battra bec et ongles pour faire interdire le film. Les superlatifs n'ont pas manqué pour qualifier cette œuvre grandiose et novatrice, élue à plusieurs reprises « meilleur film de tous les temps », et notamment par l'American Film Institute en 1997 et 2007. On y suit dans une narration éclatée et déstructurée le parcours de Charles Foster Kane, séparé dès l'enfance de sa mère (Agnes Moorehead) pour être éduqué par un financier (George Coulouris). Devenu dirigeant d'un grand titre de presse, il épouse la nièce du président des États-Unis (Ruth Warrick) et tente de percer dans la politique. Piégé dans ce domaine par son adversaire (Ray Collins), il est contraint de rester dans l'édition et se marie avec Susan, une cantatrice médiocre (Dorothy Comingore). La fin de son existence se poursuivra à Xanadu, un immense manoir inachevé, emblématique de sa richesse et sa mégalomanie. Ce parcours est d'abord retracé de façon linéaire dès la deuxième séquence, dans un faux film d'actualité, nécrologie du magnat. Auparavant, on aura assisté à la mort de Kane, dont la dernière parole a été « Rosebud », prononcée en laissant s'échapper de ses mains une boule neigeuse... Un reporter (William Alland) est alors chargé de percer le mystère de ce mot. Par une série de flash-back au gré des témoignages de ceux qui ont côtoyé Kane, le film se propose alors de cerner sa personnalité. Citizen Kane éblouit dès son ouverture, où une caméra subjective transgresse un panneau « Défense d'entrer », avant de nous conduire à l'intérieur de la propriété jusqu'à la fenêtre de la chambre du mourant, et de filmer ces derniers instants par un champ-contre champ. Tout le reste de l'œuvre est de cette force et réussit l'osmose entre innovations narratives et visuelles, tout en proposant par ailleurs un portrait au vitriol de la société américaine.

L'utilisation des profondeurs de champ (le jeune Kane jouant dans la neige avec sa luge), des plongées-contre-plongées (la scène qui suit la rupture avec la seconde femme), ou le recours à des toiles peintes pour certains décors extérieurs révèlent un renouvellement du langage cinématographique. Et il en est de même avec la superposition des points de vue que permettent les différents retours en arrière, ces caractéristiques culminant avec les témoignages successifs de Leland (Joseph Cotten), Susan, et du majordome (Paul Stewart). Et plus de soixante-dix ans après sa sortie, le film frappe encore par son audace baroque, des statues antiques ornant les couloirs de Xanadu à la représentation à l'opéra, qui voit un professeur de chant s'époumoner pour encourager la chanteuse dotée d'un ridicule filet de voix. Il faut ici rappeler la charge corrosive de Welles puisque le personnage de Susan est calqué sur celui de Marion Davies, une actrice hollywoodienne maîtresse de Hearst, et que celui-ci avait voulu hisser au rang de star. Au sens large, Welles s'en prend aux absurdités de la machine hollywoodienne et au pouvoir de l'argent, tout en mettant en exergue les contradictions du système américain, Kane exerçant à la fois fascination et répulsion. Il n'est pas superflu d'ajouter que même si Welles est le véritable auteur de ce monument, ses collaborateurs ont contribué à sa réussite exceptionnelle. Il s'agit notamment de Robert Wise (au montage), Bernard Herrmann (à la musique) et Gregg Toland (à la photo). Tous sont crédités au générique qui apparaît (autre innovation) à la fin du film, après qu'une voix off eut présenté les comédiens, mentionnant leur première apparition à l'écran. À sa sortie, Citizen Kane connut un triomphe critique mais dérouta quelque peu les spectateurs. Les professionnels choisirent une ligne médiane et lui décernèrent le premier Oscar du meilleur scénario. Le film fut dès les années qui suivirent considéré comme une date dans l'histoire du 7e art, et il faudra attendre Lola Montès pour découvrir un autre sommet de cette envergure. Citizen Kane a été restauré en 4k à l'initiative de Warner Bros. Le travail d'étalonnage est celui de Janet Wilson à Motion Picture Imagery, sous la supervision de Ned Price. L'image a été reconstituée d'après trois interpositifs noirs et blancs à grain fin support nitrate, le négatif original n'existant plus.

Gérard Crespo



 

 


1941 - 1h59 - États-Unis - Scénario : Herman K. MANKIEWICZ, Orson WELLES - Interprétation : Orson WELLES, Joseph COTTEN, Dorothy COMINGORE, Agnes MOOREHEAD, Everett SLOANE, Paul STEWART, Fortunio BONANOVA, Ruth WARRICK, Ray COLLINS, George COULOURIS, William ALLAND.

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