Les Sans-Espoir
Szegényegénvek
de Miklos Jancso
Sélection officielle
Cannes Classics





Les mécanismes du pouvoir

Présenté au Festival de Cannes 1966, Les Sans-Espoir, premier volet d'une trilogie sur l'histoire de la Hongrie, révéla un cinéaste majeur d'Europe de l'Est. En 1869, un commissaire entreprend, au nom du gouvernement, de liquider les derniers partisans, deux ans après le compromis austro-hongrois de 1867. Des paysans soupçonnés d'avoir participé sous le nom de « Sans-Espoir » à la guerre d'indépendance de 1848, sont arrêtés. Enfermés dans un fort isolé, en pleine steppe hongroise, les prisonniers subissent interrogatoires, vexations, punitions et mises au cachot. La situation se dégrade davantage lorsque les militaires incitent à la délation... Le film démarre par une brève introduction, une voix off précisant le contexte historique des événements qui vont se dérouler à l'écran. C'est la seule concession au didactisme d'une œuvre austère et puissante, qui refuse toute construction dramatique traditionnelle au profit d'un réalisme distancié. Jancso filme en effet des personnages froids, sans émotions apparentes, suivant leurs instincts les plus vils tout en obéissant à un idéal. Si les forces d'un pouvoir tyrannique sont dépeintes comme abjectes, certains hommes du peuple sont loin d'être présentés comme héroïques, victimes apeurées prêtes à dénoncer un pair pour sauver leur peau ou avoir un châtiment moins lourd. Le cinéaste est cependant dans leur camp, dénonçant une armée et des instances politiques corrompues, aux ordres de l'Empire d'Autriche.

Car Les Sans-Espoir est une œuvre résolument engagée. Marxiste de formation, et profondément nationaliste, le réalisateur s'est toujours intéressé à la condition d'ouvriers et paysans malmenés par un État et des propriétaires capitalistes d'autant plus nocifs qu'ils se sont compromis avec une puissance étrangère. Le regard de Jancso semblait ici conforme aux canons du réalisme socialiste alors en vigueur, et il ne faut pas oublier que jusqu'à la fin des années 60, les films montrés à Cannes étaient sélectionnés par le pays d'origine, et non le comité du Festival. Et pourtant, il est permis de voir dans l'approche de Jancso une vision plus métaphorique, les faits qui se déroulent dans le fortin n'étant pas si éloignés des procédés du système communiste et de son univers concentrationnaire. Visuellement, le film frappe par sa mise en scène chorégraphique, sans esthétisme ostentatoire. Des plans sobres donnent une troublante abstraction à des mouvements de groupe désincarnés, des captifs encagoulés tournant en rond aux cavaliers positionnés dans un décor dépouillé. Et l'on gardera en mémoire des images audacieuses et glaçantes qui ont pu passer le cap de la censure, telle la scène où une captive dénudée est fustigée dans une mêlée de militaires. Les Sans-Espoir a été restauré en 2K par le Hungarian Filmlab à partir de son négatif 35 mm.

Gérard Crespo


 

 


1966 - 1h28 - Hongrie - Scénario : Miklos JANCSO - Interprétation : Janos GÖRBE, Zoltan LATINOVITS, Tibor MOLNAR.

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