Les Fantômes d'Ismaël
de Arnaud Desplechin
Sélection officielle
Hors compétition

Ouverture







Le retour de Carlotta

Ismaël Vuillard (Mathieu Amalric, interprète fétiche et alter ego de Desplechin) réalise des films. Celui qu’il tourne actuellement est le portrait d’Ivan (Louis Garrel), un diplomate excentrique inspiré de son frère. Avec Bloom, son maître et beau-père (Laszlo Szabo), Ismaël pleure toujours la disparition de Carlotta, survenue il y a vingt ans. Auprès de Sylvia (Charlotte Gainsbourg), Ismaël s’est inventé une nouvelle existence, radieuse. Mais un beau jour, Carlotta (Marion Cotillard), déclarée officiellement morte, revient. Sylvia part ; Ismaël rejette Carlotta. Sa raison semble vaciller et il quitte le tournage pour retrouver sa demeure familiale à Roubaix. Là, il s’enferme, assailli par ses fantômes. Jusqu’à ce que la vie s’impose à lui… Version raccourcie, avec l’accord du réalisateur, d’un film de 2 h 25, Les Fantômes d’Ismaël a pu décontenancer par ses ellipses déroutantes, un sentiment de déjà-vu et l’impression que la machine Desplechin se répète, l’impuissance créatrice d’Ismaël semblant faire écho au supposé manque d’inspiration de l’auteur de Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Et pourtant, ce récit à double entrée offre un charme réel et se veut la somme de tous les films antérieurs de Desplechin : histoire d’un deuil à l’instar de La Vie des morts, arrière-fond d’espionnage comme La Sentinelle et Trois souvenirs de ma jeunesse, chronique des déboires conjugaux dans la lignée de Rois & reine, radioscopie des liens familiaux évoquant Un conte de Noël, et bouclant la boucle avec La Vie des morts.

La mise en abyme exercée par « le film dans le film » fonctionne, et il serait mesquin de faire la fine bouche, eu égard aux grands modèles que furent 8 ½ ou La Nuit américaine. Mais plus qu’à Fellini et Truffaut, Desplechin lance des clins d’œil manifestes à Hitchcock : c’est d’abord le personnage d’Ivan, pris dans un engrenage d’espionnage qui semble le dépasser, tel James Stewart dans L’Homme qui en savait trop ; c’est surtout la fantomatique Carlotta, au prénom emprunté à Vertigo, et dont la « résurrection » sera l’objet de bien des tourments. Cet héritage cinématographique n’estompe en rien la singularité de la démarche du cinéaste, à commencer par la trame narrative heurtée du film qui en suggère une seconde lecture. « À travers les méandres de ces intrigues, tout notre travail fut de parler clair et droit. Je voulais que chaque scène vous arrive crument, avec brutalité. Que les spectateurs ne puissent les esquiver », a ainsi déclaré le réalisateur. De ce kaléidoscope scénarique surgissent ainsi de fulgurantes séquences, magnifiées par l’éclairage lumineux d’Irina Lubtchansky et la partition lyrique de Grégoire Hetzel. On songe en particulier à la scène dans laquelle Bloom refuse de rencontrer sa fille après ses années d’absence. La beauté trouble de ce double récit ne peut que donner envie d’en découvrir la version définitive qui, n’en doutons pas, sera encore plus éblouissante.

Gérard Crespo


1h50 - France - Scénario : Arnaud DESPLECHIN - Interprétation : Mathieu AMALRIC, Marion COTILLARD, Charlotte GAINSBOURG, Louis GARREL, Alba ROHRWACHER, Laszlo SZABO, Hippolyte GIRARDOT, Samir GUESMI, Catherine MOUCHET, Bruno TODESCHINI.

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