Les Chatouilles
de Andréa Bescond, Eric Métayer
Sélection officielle
Un Certain Regard






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Adapté de leur spectacle qui a triomphé au Festival d’Avignon off en 2014, et lauréat du Molière seul(e) en scène en 2016, Les Chatouilles coréalisé par Andréa Bescond et Éric Métayer est explicitement autobiographique. En effet, Andréa Bescond, également interprète du rôle principal, raconte son expérience personnelle. Voici donc l’histoire d’Odette, une jeune femme trentenaire qui consulte une psychologue (Carole Franck), pour lui confier un traumatisme d’enfance. Quand elle avait dix ans, elle avait subi les attouchements et viols répétés de Gilbert (Pierre Delandonchamps), un ami très intime de sa famille. Elle n’avait jusqu’à présent jamais parlé de ces violences, surtout pas à sa mère, autoritaire et rigide (Karin Viard), ni même son père (Clovis Cornillac), pourtant compréhensif et bienveillant. Cette psychothérapie et la pratique régulière de la danse en tant que catharsis permettront-elles à Odette de la libérer de ses pulsions autodestructrices ? La pièce de théâtre était un moyen de prolonger ce travail salvateur, le film s’avère son prolongement. Plutôt que d’opter pour le drame à thèse, les auteurs ont préféré un mélange des genres, introduisant des passages de comédie musicale pour traduire les tourments du personnage. Andréa Bescond a déclaré à ce propos : « On voulait une dimension urbaine, avec des percussions et le côté binaire du hip-hop. Notre compositeur Clément Ducol a apporté cet univers avec ses percussions tribales. C’est un percussionniste de formation, ce qui nous plaisait puisqu’on voulait garder ce côté brut dans la musique ». Le résultat en est un film au ton décalé dans certaines séquences, ce qu’accentue la volonté de faire exploser les dimensions temporelle et mentale.

Ainsi, le glissement du présent au passé est-il accompagné de scènes fantasmatiques dans lesquelles Odette adulte se projette dans son passé et son imaginaire, réécrivant les instants de trauma les plus intensifs : si son père était entré dans la salle de bain à l’occasion de ces séances de chatouilles, cela aurait-il modifié le cours de son existence ? Le métrage est imprégné d’une réelle énergie, qui n’est pas sans évoquer d’autres œuvres aux antipodes du naturalisme, telles Toto le héros de Jaco van Dormael ou Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne. Pour autant, comme ce dernier film, le passage de la scène à l’écran s’accompagne d’une volonté un brin factice de « faire cinéma », avec des afféteries poétiques assez criardes et une lourdeur démonstrative. On peut par ailleurs trouver pénible le pathos utilisé dans la dernière partie, et caricaturaux certains personnages, comme la mère. L’affrontement avec sa fille, y compris lorsque celle-ci lui dévoilera la vérité, donne droit à des dialogues dignes d’un soap opéra, inacceptables pour le cinéphile après le souvenir des joutes entre Ingrid Bergman et Liv Ullmann dans Sonate d’automne ou Danielle Darrieux et Catherine Deneuve dans Le Lieu du crime. Et ce n’est pas manquer de respect à Andréa Bescond que de souligner les limites de son jeu derrière la caméra : plus hystérique qu’Emmanuelle Bercot dans Mon Roi, la comédienne contribue au malaise suscité par plusieurs passages. En dépit de ces défauts, Les Chatouilles reste une expérience originale et salutaire, qu’on aurait tort d’assimiler à un simple produit de « dossier de l’écran » sur un drame sociétal.

Gérard Crespo



 

 


1h43 - France - Scénario : Andréa BESCOND, Éric MÉTAYER, d'après leur pièce "Les Chatouilles ou la danse de la coère" - Interprétation : Andréa BESCOND, Karin VIARD, Clovis CORNILLAC, Pierre DELADONCHAMPS, Grégory MONTEL, Carole FRANCK, GRINGE, Ariane ASCARIDE, Cyrille MAIRESSE.

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