Le Départ
de Jerzy Skolimowski
Sélection officielle
Cannes Classics
Cinéma de la Plage





« Meubles en soldes,
petites affaires,
trou en terre,
vides toujours,
autour de nous,
malgré nous.
Que l'on fuit chaque jour,
chaque jour...
 »

Marc (Jean-Pierre Léaud) a dix-neuf ans. Il est garçon coiffeur. Mais il ne rêve que de voitures, rallyes, courses. Il s'est inscrit, avec une Porsche, au rallye qui doit commencer dans deux jours, en comptant « emprunter » la voiture de son patron. Il s'entraîne avec elle la nuit, ayant comme co-pilote un copain du salon. Au dernier moment, les deux garçons apprennent que le patron part en week-end avec la voiture. C'est la catastrophe. Marc doit en trouver une autre… Ours d’or au Festival de Berlin en 1967, Le Départ est le quatrième long métrage de Jerzy Skolimowski, et son premier tourné en Europe de l’Ouest, avant qu’il ne s’expatrie en Angleterre. Tourné à Bruxelles, le film apparaît comme un pont entre les nouvelles vagues polonaise et française, le réalisateur porté par un désir de liberté tendant ici la main à des artistes issus des cinémas de Truffaut ou Godard. On songe surtout à Jean-Pierre Léaud (il venait de tourner Masculin féminin) et au directeur de la photo Willy Curant qui avait éclairé des films de Varda, Robbe-Grillet et Godard. Le scénario tient dans un mouchoir de poche (c’est le seul reproche que l’on puisse réellement faire au film), mais on sait que les cinéastes de cette mouvance n’en avaient cure, préférant un art porté presque exclusivement par la mise en scène. Le scénario du Départ, coécrit avec Andrzej Kostenko, peut-être cependant lu comme un récit d’initiation, le goût de Marc pour les voitures de luxe lui faisant prendre conscience de l’inanité de sa passion et des désillusions qu’elle peut procurer.

Le Départ se distingue aussi par sa satire implicite, un an avant mai 68, de la société de consommation, avec ses défilés de mode clinquants, ses bourgeoises en quête d’apparence ou ses salons automobiles bruyants, où le seul moment de calme se situe en se cachant dans une voiture : « Mademoiselle, je vous invite à passer la soirée avec moi dans un coffre à bagages », se verra contraint de déclamer Marc après un après-midi infructueux pour partir avec la Porsche de ses rêves : Skolimowski suit ici la trace d’un Tati, d’autant plus qu’il témoigne d’un souffle poétique saisissant. Car c’est bien par la grâce du style que cette œuvre de transition séduit le plus, avec une imagination qui transcende le caractère parfois potache du dispositif, nimbant de beauté de nombreuses séquences : jeu visuel avec le miroir porté par Marc et sa future amoureuse, travellings vertigineux suivant un personnage qui court pour une raison que l’on ignore, pellicule qui s’enflamme face à l’embarras des protagonistes… La partition de jazz sublime, signée Krzysztof « Komeda » Trzcinski, donne à l’œuvre un rythme et un ton qui contribuent à son pouvoir attractif. Elle assure la qualité sonore et musicale qui culmine avec la belle chanson intitulée elle aussi « Le Départ », et interprétée par Christiane Legrand. Même si l’on peut préférer des œuvres plus intenses du réalisateur, comme Deep End ou Travail au noir, le film distille toujours un charme réel auquel tout cinéphile succombera.

Gérard Crespo



 

 


1967 - 1h29 - Belgique - Scénario : Andrzej KOSTENKO, Jerzy SKOLIMOWSKI - Interprétation : Jean-Pierre LÉAUD, Catherine-Isabelle DUPORT, Paul ROLAND, Jacqueline BIR, Georges AUBREY.

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