Fugue
Fuga
de Agnieszka Smoczynska
Semaine de la Critique








« J’ai un mari, j’ai un enfant ? »

Alicja a perdu la mémoire et elle ignore comment elle en est arrivée là. En deux ans, elle parvient à se reconstruire : changée, indépendante, loin de chez elle. Elle ne souhaite pas se remémorer le passé. Alors, quand sa famille la retrouve, elle est contrainte d’endosser le rôle de mère, de fille et de femme, entourée de personnes qui semblent être de parfaits étrangers. Que reste-t-il lorsqu’on oublie que l’on a aimé quelqu’un ? Est-ce nécessaire de se souvenir du sentiment amoureux pour être heureux ? Il s’agit du second long métrage d’Agnieszka Smoczynska, auteure de The Lure, prix spécial du jury au Festival de Sundance 2015, qui avait bénéficié d’une sortie DVD en octobre 2017. Le scénario est basé sur un fait divers révélé en direct à la télévision polonaise : une femme amnésique amenée sur le plateau d’une émission avait pu être mise en contact avec ses proches qui l’avaient reconnue. Sur ce canevas, la cinéaste a conçu un film intimiste et psychologique, mêlant plusieurs genres cinématographiques, du thriller au film fantastique en passant par l’étude de mœurs. Interrogée sur le sens du titre de son métrage, la cinéaste a précisé : « Il fait référence à la fugue dissociative, qui est un trouble psychiatrique rare, caractérisé par une amnésie. Les personnes qui en souffrent ne se souviennent plus de leur passé et changent de personnalité. Mais c’est aussi, il est vrai, une référence à la musique et aux différentes variations de mon film ». Car c’est bien par ses ambitions stylistiques que vaut cette œuvre, plus que par des intentions féministes guère novatrices.

On trouvera en effet une dénonciation implicite de la condition de la femme polonaise, que d’aucuns voudraient voir cantonnée dans les rôles d’épouse attentionnée et de mère aimante. La rébellion supposée d’Alicja est alors révélatrice d’un désir de transgresser les normes familiales en vigueur, même si l’amnésie dont on ignorera longtemps les causes lui servent de circonstances atténuantes. Ce n’est pas l’aspect le plus passionnant d’un film qui se situe dans la mouvance d’un cinéma plus onirique axé sur le thème de la dualité et qui a donné de bien jolies pépites avec Vertigo ou Trois femmes. Le film de Smoczynska n’atteint pas ces sommets mais séduit dans ses zones d’ombre, tant on se surprend à tenter de percer le mystère d’une femme dont on ne sait pas si elle est une manipulatrice ou une victime. Le jeu de l’actrice Gabriela Muscala, qui a aussi coécrit le scénario, contribue d’ailleurs à l’ambigüité qui imprègne l’atmosphère. Plastiquement soigné, le film est bien servi par une lumière expressionniste avec des contrastes de couleurs qui indiquent le malaise de la protagoniste. Celle-ci est en outre filmée avec un réel sens chorégraphique, à l’aide de travellings qui n’atteignent toutefois pas la virtuosité ophülsienne. En fin de compte, Fugues est un exercice de style élégant et attachant, mais il lui manque ce supplément d’âme et d’originalité qui lui permettrait de dépasser le niveau du film honorable de festival.

Gérard Crespo

 



 

 


1h40 - Pologne, République tchèque, Suède - Scénario : Gabriela MUSKALA - Interprétation : Gabriela MUSKALA, Lukasz SIMLAT.

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