Joueurs
de Marie Monge
Quinzaine des Réalisateurs







L’homme fatal

Lorsqu'Ella (Stacy Martin) rencontre Abel (Tahar Rahim), sa vie bascule. Dans le sillage de cet amant insaisissable, la jeune fille va découvrir le Paris cosmopolite et souterrain des cercles de jeux, où adrénaline et argent règnent. D’abord un pari, leur histoire se transforme en une passion dévorante… Marie Monge a suivi des études de cinéma à l’Université de la Sorbonne Nouvelle à Paris avant de réaliser plusieurs courts métrages dont Marseille la nuit, nommé aux César en 2014. Il n’est jamais agréable de faire la fine bouche devant le premier long métrage d’une jeune réalisatrice mais rien ne fonctionne dans Joueurs. L’intention est certes louable, qui est d’établir le parallèle entre l’addiction au jeu et la pensée pour un amour obsessionnel, tout en inversant les rôles masculin et féminin dans la caractérisation de la figure fatale. « En écriture, on se disait qu’Abel serait la femme fatale du film. Vous voyez ces personnages doux et vénéneux, désarmants, qu’on a envie de protéger de sauver d’eux-mêmes ? Dans le film noir, ce sont souvent des femmes, et l’homme va vers elles en pensant qu’il sera assez fort pour les sauver, précipitant sa chute. L’idée était d’inverser les rôles » (extrait du dossier de presse). Le problème est que le procédé a déjà été utilisé au cinéma. Il suffit de penser aux personnages de Farley Granger dans Senso ou, à un degré différent, Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle. Et la comparaison n’est pas à l’avantage de Marie Monge. Une autre référence vient aussi à l’esprit : Vincent Cassel qui pourrissait l’existence d’Emmanuelle Bercot dans Mon Roi. Sans manquer de respect à ces réalisatrices, il n’est pas superflu d’affirmer que Marie Monge, tout comme Maïwenn, signe un scénario de roman-photo, avec situations tellement téléphonées que le spectateur a toujours une longueur d’avance sur Ella :

on a compris dès la seconde séquence qu’Abel est un salaud intégral prêt à tout pour la dépouiller de sa fortune afin de satisfaire sa passion pour le jeu et régler ses dettes. L’exposition était pourtant prometteuse, qui laissait présager une subtile comédie romantique et policière, dans la lignée de classiques comme Haute pègre d’Ernst Lubitsch ou de réussites mineures mais charmantes (La Bonne année de Claude Lelouch). Mais très vite, le sérieux prend le dessus et le récit s’embourbe dans des grossièretés narratives et des rebondissements foireux, s’achevant en Bonnie and Clyde du pauvre. Quant aux scènes de jeu, elles sont filmées sans tension ni perspective : même le modeste Tricheurs de Barbet Schroeder était plus créatif. Et l’on ne peut même pas souligner la qualité de l’interprétation. Tahar Rahim que l’on a connu si brillant dans Un prophète et autres bons films se contente ici de dévoiler son charmant sourire et de sourciller. Quant à la pauvre Stacey Martin, attachante incarnation d’Anne Wiazemsky dans Le Redoutable, elle est d’une fadeur qui ne permet pas de compenser les faiblesses de son personnage. Tout juste sauvera-t-on quelques plans d’un Paris cosmopolite (celui de Strasbourg Saint-Denis ou du Sentier) et la volonté de faire provenir la fiction de la rue elle-même. Mais là encore, on est très loin du punch des cinémas d’un Schatzberg ou des frères Satie dont Marie Monge revendique la filiation. On reste donc sur l’impression d’un premier film formaté et sans réel intérêt, loin de l’esprit novateur de la Quinzaine.

Gérard Crespo



 

 


1h45 - France - Scénario : Marie MONGE, Romain COMPINGT, Julien GUETTA - Interprétation : Tahar RAHIM, Stacy MARTIN, Bruno WOLKOWITCH, Karim LEKLOU, Marie DENARDAUD, Jean-Michel CORREIA, Jonathan COUZINIÉ, Caroline PIETTE.

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