A Girl at my door
Dohee-Ya
de July Jung
Sélection officielle
Un Certain Regard



Sortie en salle : 5 novembre 2014




Secrets et mensonges

Coproduit par Lee Chang-dong, à qui ont doit les éblouissants Oasis, Secret Sunshine et Poetry, A Girl at my door fait partie de cette même mouvance du cinéma coréen qui allie rigueur formelle, écriture aboutie et critique sociale en filigrane. Il s'agit du premier long métrage de July Jung, diplômée de K'Arts (Korea National University of Arts). La jeune cinéaste a pu obtenir pour le rôle principal Doona Bae, star du cinéma coréen, remarquée notamment dans The Host.

Elle interprète ici Young-nam, une policière qui vient d'être affectée dans un petit port de province. Venue de Séoul, elle est accueillie avec bienveillance par ses subordonnés (tous masculins) mais peine à s'intégrer dans une communauté machiste et étriquée. Deux habitants attirent l'attention de la jeune femme. Il y a tout d'abord Dohee, une collégienne entre l'enfance et l'adolescence, qui erre le long du port, harcelée par ses pairs. Quant à Yong-ha, il dirige une entreprise de commerce de la pêche, exploite des travailleurs immigrés clandestins et adopte un comportement rustre et violent. Il s'avère que Yong-ha est le père de Dohee, qu'il maltraite. Un soir où elle est battue par son père et sa grand-mère, la jeune fille se réfugie chez Young-nam, qui la protège et l'héberge le temps des vacances scolaires...

L'œuvre de July Jong a d'abord le mérite de traiter de sujets peu évoqués dans le cinéma coréen, et dont certains constituent presque un tabou dans son pays : l'homosexualité féminine, les violences parentales, l'inceste, l'alcoolisme, le mauvais traitement réservé aux travailleurs clandestins. Tout le village semble ainsi s'adonner à l'alcool, à commencer par Young-nam, dont on comprendra vite que cela traduit moins sa solitude abyssale que les effets d'un échec professionnel et sentimental lorsqu'elle vivait à Séoul. Sa volonté de lutter à elle-seule contre la corruption, les passe-droits et des préjugés ancestraux, tout en protégeant une enfant fragile, en ferait une héroïne de film à thèse tout à fait plausible dans une fiction « politiquement correcte » comme il en fleurit depuis des décennies.

Mais la réalisatrice dépasse cette dimension au demeurant louable de cinéma engagé pour réaliser un drame psychologique et policier d'une grande acuité. A Girl at my door est en effet un beau portrait de femme, dont la détermination cache des fêlures profondes. Si le spectateur s'attache d'emblée à la policière, à l'instar de le jeune collégienne en souffrance, la cinéaste ne la présente pas pour autant sous des traits sympathiques. Sa misanthropie fait de Young-nam le pendant féminin, coréen et contemporain du docteur Germain (Pierre Fresnay) dans Le Corbeau : des notables, hautains, avec leur zone d'ombre, et d'ailleurs soupçonnés des pires déviances par un microcosme venimeux. Et les relations entre Young-nam et Dohee, qui oscillent entre la protection policière, l'instinct maternel et l'affection amoureuse, sont d'une subtilité qui n'est pas sans évoquer le Robert Altman de Trois femmes. L'ambiance de mystère qui entoure ainsi les personnages fait la force du récit, les sentiments manifestés par les personnages pouvant se révéler en trompe-l'œil. Cette ambiguïté des apparences trouve un prolongement cohérent dans la seconde partie du récit, qui adopte les conventions du film criminel, pour résoudre une énigme dont on n'est pas sûr qu'elle puisse être démêlée sans incertitudes.

La direction d'acteurs est magistrale. Entre Cosette et Lolita, Dohee trouve en Kim Sae-ron une interprète prometteuse, jouant de ses transformations physiques sans effets et avec une force émotionnelle étonnante pour un si jeune âge. Elle avait été révélée en 2009 par Une vie toute neuve, présenté en séance spéciale à Cannes. Dans le rôle du père (et patron) indigne, vociférant et pathétique, Song Sae-byeok est prodigieux. Il avait incarné le détective dans Mother. Quant à Doona Bae, elle manifeste un jeu nuancé dont on regrette qu'il n'ait pas été récompensé par un prix d'interprétation Un Certain Regard. D'une maîtrise appréciable pour un premier film, A Girl at my door met donc en lumière une réalisatrice à suivre.

Gérard Crespo

 

 


1h59 - Corée du Sud - Scénario : July JUNG - Interprétation : Doona BAE, KIM Sae-ron, Song Sae-byeok.

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