The Lobster
de Yorgos Lanthimos
Sélection officielle
En Compétition

Prix du Jury


Sortie en salle : 28 octobre 2015



« Être deux c’est toujours mieux»

Auteur du stupéfiant Canine, Prix Un Certain Regard 2009, Yorgos Lanthimos revient en force sur la Croisette avec ce récit de « mœurs-fiction » axé sur le contrôle des sentiments et de la sexualité par la société. On aurait pu penser que le cinéaste allait perdre son âme avec une production internationale en langue anglaise autour d'un casting sans surprises comprenant entre autres vedettes l'Américain Colin Farrell, les Britanniques Rachel Weisz et Ben Whishaw, ou la Française Léa Seydoux. Ces craintes n'étaient pas justifiées, et Lanthimos a brodé un récit complètement fidèle à son univers débridé et sa vision désenchantée. La première partie du film se déroule dans un hôtel de campagne cossu, situé dans un très beau décor irlandais, d'une sérénité trompeuse. Des célibataires y ont été retenus par les autorités publiques, et disposent de quarante-cinq jours pour trouver l'âme sœur, avec laquelle ils doivent avoir obligatoirement un point commun. Passé ce délai, ils seront transformés en l'animal de leur choix. Dans une ambiance qui évoque la série télévisée Le Prisonnier mais aussi certaines œuvres de Buñuel voire du courant de la dystopie (La Dixième victime, d'Elio Petri, 1967), Lanthimos excelle à peindre un monde déshumanisé soumis au totalitarisme du contrôle social. « Être deux c’est toujours mieux  », martèle l'hôtelière agréée, commentant une suite de parades scéniques autour du couple. Des passages savoureux mêlent ainsi humour noir et dérision : on y voit «  l'homme qui zézaie » (John C. Reilly) obligé de glisser sa main dans un grille-pain, pour non respect du règlement intérieur sur les plaisirs solitaires, quand une soubrette fonctionnaire (Ariane Labed) pratique avec minutie la prise de température des érections matinales...

Le huis clos de cette glaçante règle du jeu ne trouve des aérations que lors d'effrayantes chasses à l'homme dignes du comte Zaroff, et qui permettent aux pensionnaires de récupérer quelques points de vie. On pourra déceler dans cette fable une satire au vitriol de notre société. Plus que du spectacle médiatique et numérique de la formation du couple (de Tournez manège ! à Meetic en passant par Loft story et la téléréalité), le film peut être vu comme une charge virulente contre la police des mœurs, visant à instaurer une uniformité conjugale et familiale, et dont les récentes et sinistres Manif pour tous ont été l'un des symptomes. Lanthimos va cependant plus loin, et se permet de faire dévier son récit vers une autre voie dès sa seconde partie. La résistance s'organise en effet dans la forêt, et David (Colin Farrell) rejoint après sa fuite un réseau de combattants dirigé par « la chef des solitaires » (Léa Seydoux). Il s'agit alors de s'unir pour le célibat et de punir sévèrement tout comportement qui pourrait s'apparenter au moindre flirt. Loin de contredire son propos, Lanthimos va plus loin dans son raisonnement et explore une autre facette des aspects noirs des sentiments. Le film prend alors une tournure encore plus dramatique, la cavale de cette bande de célibataires distillant un malaise qui efface complètement les moindres signes de divertissement narratif. Pour son quatrième long métrage, Yorgos Lanthimos a donc frappé fort et s'impose comme le cinéaste grec le plus talentueux, et un auteur de premier plan sur lequel il faudra désormais compter.

Gérard Crespo

 



 

 


1h58 - Grèce, Royaume-Uni, Pays-Bas - Scénario : Yorgos LANTHIMOS, Efthimis FILIPPOU - Interprétation : Colin FARRELL, Rachel WEISZ, Ben WHISHAW, Léa SEYDOUX, Ariane LABED, Olivia COLMAN, John C. REILLY.

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